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L'apostilleur

Ne pas rire (se moquer), ne pas déplorer, ne pas détester mais comprendre (Spinoza)

(1/4) Aux sources juives de l’antisémitisme ( cause et effets - Luther – un poncif )

Si l’antisémitisme est la manifestation d’une hostilité envers les communautés juives un peu partout dans le monde, alors on comprend pourquoi la recherche des causes a suscité autant de curiosités. On ne déniera pas aux juifs de savoir parler des conséquences pour leur communauté avec de nombreux essais prolixes, comme en témoigne aussi la tétralogie de Jonathan Yahoun et Judith Cohen-Solal avec leur « Histoire de l’antisémitisme » (1). Pour parler des causes, il faudra se tourner vers ceux qui ont su dépasser les inclinations de leurs coreligionnaires, et parler de bonne foi des penchants juifs coupables. Avec eux on se limitera à aborder ici la participation juive à l’impossible judéo-christianisme millénaire d’Orient en Occident, et toujours.

Mais pourquoi ? 

LA CIVILISATION, L’ÉDUCATION OU LA MORALE JUDÉO-CHRÉTIENNE… DE PIEUX PONCIFS INFONDÉS.

Psittacismes répétés, ils relèvent d’une intention apparue à la fin du XIXe siècle dans une Allemagne encore aux deux tiers protestante. Plus tôt, l’antagonisme judéo-chrétien les aurait qualifiés, de part et d’autre, d’hérésie. Culture, morale et civilisation judéo-islamique n'existent pas non plus.

Considérant que pour être judéo-chrétiennes, l’éducation et la morale auraient dû s'imprégner de la même culture, et si la culture se définit par « l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social » et englobe « outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances (Unesco) », alors on peut assurer qu’elles sont restées distinctes. Pendant plus de deux mille ans, la nation juive a vécu tel un scion dont la greffe n'a pris dans aucune des nations d'accueil. Déjà pendant leur exil (VIe s. av JC), les prêtres israélites entraient en conflit avec les babyloniens pour éviter les mariages mixtes par crainte d’une dissolution de leur communauté, un pli qui marquera la vie de leurs descendants jusqu’à aujourd’hui.

L’antijudaïsme des catholiques (et des musulmans) pendant le moyen-âge et après a été abondamment commenté et décrié, mais les motifs qui ont nourri au fil des siècles l’ostracisme judaïque envers les chrétiens le sont moins. Quelques exemples seront abordés ici pour éclairer la contribution juive aux impossibilités judéo-chrétiennes. Leurs observations supposent d’écarter le voile des événements tragiques récents du peuple juif pour examiner sans partisanisme (1) les causes qui l’ont maintenu volontairement reclus et distant des chrétiens et des autres peuples pendant des siècles. Un ségrégationnisme qui touchera les communautés juives entre-elles aussi (2). L'antisémitisme, descendance de cet antijudaïsme lui-même conséquence d’un antichristianisme plus ancien, n’existait pas encore.

Pour en découvrir les causes, on suivra la recommandation d’Ariel Toaff, historien israélien à Jérusalem et fils d’un grand rabbin à Rome, qui recommande de « … briser le tabou des recherches autour de l'atmosphère antichrétienne au sein de certaines communautés ashkénazes européennes… ». Au Maghreb séfarade, récemment encore juifs et musulmans contribuaient aussi à cette atmosphère antichrétienne en interdisant à leurs enfants d'entrer dans une église. Un antagonisme rémanent dont on trouve des traces au IVe s. ap JC avec Saint-Augustin dans l’actuelle Algérie ; « Comment veux-tu que celui qui a été crucifié ne soit pas méprisé par ceux qui considèrent la mort sur la croix comme une honte ».

  • S’agissant de la diffusion du rapprochement sémantique « judéo-chrétien ».

Il apparaît dans une Allemagne persécutrice des juifs rhénans depuis les premiers croisés et qui n’avait pas encore commis l’holocauste. Elle avait connaissance des discours de Luther (XVe s.) longtemps proche des juifs quand il « récusait la doctrine de Justinien de Servitude des Juifs… Quel Juif pourrait consentir d'entrer dans nos rangs quand il voit la cruauté et l'hostilité que nous manifestons à leur égard…  ». Une bienveillance comme celle qu’il énonce à propos des races ; "Il n'y a aucune différence en ce qui concerne la naissance ou la chair ou le sang, comme la raison nous le dit. En conséquence "ni les Juifs ni les Gentils ne doivent se vanter" devant Dieu de leur naissance physique…car tous ensembles, nous partageons une naissance, une chair et un sang, provenant des tous premiers et très saints ancêtres. Nul ne peut reprocher à l'autre quelque singularité sans s'impliquer lui-même à la même occasion." Même s’il la retournera pour justifier que celle des juifs ne peut pas être supérieure aux autres

Une période propice à une entente judéo-chrétienne trop courte pour germer et dont le retournement fut brutal lorsqu’il découvrit les opinions discrètes des juifs envers les chrétiens.

Dans une correspondance, Luther révèle avoir découvert très tard (trois ans avant sa mort) l'antichristianisme judaïque, avec ses « …imprécations, blasphèmes, mensonges et diffamations… » envers les chrétiens qui provoqua sa haine nouvelle des juifs avec ses « huit recommandations » pour se débarrasser des juifs… "… En trois, je conseille que tous leurs livres de prières et écrits talmudiques, qui servent à apprendre une telle idolâtrie, leurs mensonges, leurs malédictions et leurs blasphèmes, leur soient retirés."

Ce revirement marqua de son empreinte l’antijudaïsme d’outre Rhin « … qu'on les force à travailler la terre, ou bien qu'on les expulse d'Allemagne… Nous sommes fautifs de ne pas les tuer. Au contraire, nous leur permettons de vivre librement dans notre milieu, en dépit de tous leurs meurtres, leurs imprécations, leurs blasphèmes, leurs mensonges et diffamations ; nous protégeons et défendons leurs synagogues, leurs maisons, leurs vies et leurs biens. De cette façon, nous les rendons paresseux et tranquilles et nous les encourageons à nous plumer hardiment de notre argent et de nos biens, ainsi qu'à se moquer et à se railler de nous, avec comme but de nous vaincre, de nous tuer pour un tel péché et de prendre tous nos biens comme ils le prient et souhaitent tous les jours (1) ...

Avec « Des Juifs et leurs mensonges » écrit trois ans avant sa mort en 1543, Luther recommande que les Juifs soient privés d'argent, de droits civils, d'enseignement religieux et d'éducation… « Je m'étais résolu à ne plus écrire sur les Juifs ni contre euxMais comme j'ai appris que ces gens misérables et maudits n'arrêtent pas de nous leurrer, nous les Chrétiens, j'ai publié ce petit livre, de façon que je puisse me trouver parmi ceux qui s'opposent à leurs activités empoisonnées et pour mettre les Chrétiens en garde contre eux. » 

Découvrait-il seulement alors que le Talmud pilier du judaïsme avait été régulièrement incriminé durant le Moyen-Age pour ces motifs ?

Comme le toledot yeshou récité quotidiennement par les juifs vers le IXe s. et possiblement plus tôt avec une version qui serait apparue dès le II ou IIIe s. Il s’agit d’un pamphlet objet de nombreuses polémiques ; « …Jésus est un bâtard, un magicien, fils d’une prostituée… mis à mort par les rabbins l’accusation d’adultère portée contre Marie avec Panthéra père de Jésus… ». 

Récemment Pierre Sapy s’intéressait lui aussi au réformateur et à son livre « Les Juifs et leurs mensonges (1543)  », dont il est l’instigateur de la première traduction allemand/français, après près de 500 ans. Questionné (Médiapart) sur l’origine de la métamorphose de Luther, il ne répondra pas avec les propos du moine. Il reprendra, hésitant, la « thèse classique des historiens (lesquels ?) …Luther aurait été déçu de n’avoir pas réussi à convertir les juifs… ». Il dira aussi ses difficultés pour trouver un traducteur et un éditeur pour ce texte moins connu pour les deux cents pages qui étayent une exégèse révoltée contre le Talmud pour ses propos contre les chrétiens, que pour ses passages exécrables qu’auraient lus des nazis.

L’Eglise luthérienne attendra le 60e anniversaire de la nuit de Cristal en1998 pour reconsidérer les propos du réformateur avec un effort de repentance mesuré, limité à l’antisémitisme. Une reconnaissance en creux des accusations luthériennes. 

De même, la Fédération protestante de France publiera en décembre 2017, une «  déclaration fraternelle du protestantisme au judaïsme » qui ne prendra ses distances qu’avec la « violence insoutenable de certains écrits de Martin Luther... ». Le Grand Rabbin de France Haïm Korsia soulignera « la nouvelle composante judéo-chrétienne de ce dialogue (qui) a malheureusement longtemps manqué ». Des siècles de cohabitation sans dialogue avec les protestants peu propices à la fermentation d'un judéo-christianisme.

Sortant de la deuxième guerre mondiale, une attention particulière sera apportée par nombre d’intellectuels éclairés de l’holocauste, à une nouvelle entente avec les survivants juifs. De l’utilisation du suffixe « isme » accolé à l’adjectif « judéo-chrétien » naissait une intention philosophique compassionnelle des seconds. Des réconciliateurs allemands, innocents, descendants des auteurs de la tragédie, manifesteront une volonté allemande de rapprochement ou de repentance avec les juifs. Dans le sillage de cette réconciliation, Javier Teixidor (Collège de France) estimera que « si les chrétiens parlent de judéo-christianisme, c’est pour soulager leur conscience vis-à-vis des crimes commis en Europe ». 

Mais la diffusion du néologisme, aussi respectable fût-elle quant à l’intention, n’en était pas pour autant fondée, et traîne encore obstinément ici et là au détour de commentaires qui l'utilisent avec des intentions diverses. Pour certains c’est l’outil de circonstance facile pour justifier un anti-islamisme récent dans une France « … aux racines judéo-chrétiennes… un pays judéo-chrétien… » (Nadine Morano). Un discours opportuniste pour ceux qui voudraient associer Israël (théocratie juive) à la civilisation occidentale romaine, chrétienne et grecque, dans le cadre du conflit palestinien « de civilisation ». BH Lévy parlait lui distinctement d’une « civilisation juive  », pas judéo-chrétienne.

Emmanuel Walls affirmait lui devant le CRIF sa perception judéo-chrétienne de la France ; "… Sans les Juifs de France, la France ne serait pas la France" et préparait le lit des allégations de BH Lévy chercheur de traces de l'influence judaïque. Maniant le paradoxe, dans « L’esprit du judaïsme » ce défenseur fervent du judaïsme, vilipende Napoléon pourtant libérateur des juifs du Ghetto à Venise en 1797, au motif qu’il n’avait pas décelé que « …la loi juive a pour une large part rendu possible et même engendré la République  ». Dans le même temps, se contredisant il honnit «  Robespierre, Saint-Just et les autres… (qui) avaient fait table rase… et refoulé cette source hébraïque ». Les mesures voulues par Napoléon justifiées par un état déplorable des relations entre les juifs ashkénazes et leur entourage, contredisent encore les affirmations de BH Lévy. Possiblement trompé par Mirabeau qui affirme que « La religion est sans contredit le premier et le plus utile frein de l'humanité : c'est le premier ressort de la civilisation », BHL lyrique évoquera une « …civilisation juive » plutôt qu’une nation juive, sans songer non plus à une civilisation judéo-chrétienne. 

Paul Valéry à qui de Gaulle a offert des funérailles nationales, défenseur du juif Henri Bergson, estimait lui que ; « l’influence du judaïsme dans la formation du christianisme est à peine égale à l’influence des égyptiens et des perses ».

A suivre…

  • 2/4 Aux sources juives de l’antisémitisme  ; Des circonstances ont pourtant donné sens à une singularité judéo-chrétienne. Contraints par leurs textes, les juifs s’interdisaient un rapprochement avec les autres peuples - Perpétuel conflit judéo-chrétien et pilier séculaire de l’antijudaïsme ; l’usure. - S’agissant des lois. - de la prééminence du peuple juif.
  • (3/4) Aux sources juives de l’antisémitisme ;  Le peuple juif … Ducret, Rousseau, Voltaire, Diderot - Au Moyen-Age, des confrontations entre chrétiens et juifs - Des textes religieux qui enferment les communautés - Où en sommes-nous ?  
  • (4/4) Aux sources juives de l’antisémitisme  ; Napoléon et l’assimilation des juifs par décret, appelé encore aujourd’hui par des juifs en France « décret infâme »

 

(1) Une « histoire de l’antisémitisme » qui ne dit pas tout.. - L'apostilleur (over-blog.com)

(2) Le Guide culturel des juifs d’Europe rappelle les conditions difficiles de l'acceptation des juifs ashkénazes par les séfarades « portugais » de Hollande. « …Pas d’aumônes pour eux à la sortie des synagogues, pas de mariages entre séfarades et ashkénazes, le cimetière juif d’Ouderkerke était interdit aux ashkénazes…Napoléon a régulé les relations entre juifs « allemands » et « portugais », ... sous la houlette d’un consistoire supérieur.  » 

Les tensions entre les communautés juives ashkénazes et séfarades ont persisté. Lors de la création d’Israël au milieu du XXe s. les juifs séfarades étaient discriminés, envoyés dans les campagnes pour défricher les territoires pris aux palestiniens. Des archives récentes ont révélé la volonté sous Ben Gourion d’imposer un sous-prolétariat aux juifs d’Afrique du nord. Pendant un demi-siècle en Israël les mariages entre ashkénazes et séfarades étaient inexistants, aujourd’hui ils représentent 30%. Des juifs soulignent le fait qu’il n’y ait jamais eu de premier ministre d’Israël séfarade.

​(3) Dans « Une « histoire de l’antisémitisme » qui ne dit pas tout.. - L'apostilleur (over-blog.com) » le passage qui raconte l’incident antisémite lors de l’intervention de juifs à l’Assemblé constituante dément BHL.

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