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L'apostilleur

Ne pas rire (se moquer), ne pas déplorer, ne pas détester mais comprendre (Spinoza)

L’éducation, filière pour une reproduction sociale conservatrice.

L’éducation, filière pour une reproduction sociale potentiellement conservatrice.

A l’heure où notre Président aborde le sujet « d’un enseignement supérieur qui n’a aucun prix », on peut se demander si notre système hétéroclite avec ses grandes écoles et ses universités gratuites et payantes est à sanctuariser. Si seuls quelques experts sauront investiguer savamment dans le maquis de l’Education en France (*) et ailleurs, on peut néanmoins s’interroger avec lui. A noter que la France est le pays où les frais d’études dans les universités restent parmi les moins élevés d’Europe, avec une prise en charge de l’essentiel des coûts des études pour les étrangers aussi.

Si son intention est de mieux gérer les entrées, le tourisme, voire la piste migratoire de certains étudiants, en attribuant des bourses compensatoires destinées aux impétrants légitimes, et faire contribuer les plus aisés à un meilleur fonctionnement de nos établissements, il ne l’a pas dit. Problème pour lui, le totem de l’éducation dans notre pays est un univers hyper susceptible. Doit-il pour autant rester sous la seule influence de ses bénéficiaires ou s’ouvrir à d’autres considérations ?

 

L’enjeu est-il limité à la seule option du prix pour des études supérieures ?

 

Cette question m’a renvoyé à ce journal qui trainait depuis quelques temps déjà sur un coin de bureau, avec son titre « une élite héréditaire ». Cet article bien fait du Monde diplomatique avait attiré mon attention et me retenait de le ranger définitivement. Il évoquait ces intellectuels dirigeants, les élites, que la méritocratie a porté jusqu’aux bancs les plus élevés de la société où ils se cooptent, se mélangent et s’entretiennent. Le pouvoir politique aussi serait entre leurs mains, et celles de leurs descendants.

A priori, nous ne devrions pas être surpris d’apprendre que ceux qui savent, dirigent.

Exploitant leur capital culturel non imposable, ils constitueraient une caste de privilégiés et perpétueraient une domination comparable à une nouvelle noblesse, ici diplômée. La connaissance deviendrait le bras armé d’un enrichissement dynastique.

Mais doit-on taxer les bénéfices du savoir ?

Il n’y aurait rien de bien grave à tout cela si le processus ne se développait pas sur fond d’une inégalité sournoise croissante.

Le Monde diplomatique rapporte qu’aux Etats-Unis « … les investissements massifs de l’élite dans l’éducation ont porté leurs fruits, le fossé scolaire entre les étudiants riches et pauvres dépasse celui qui séparait les blancs et les noirs en 1954 ».

Ce constat ne relève pourtant d’aucune discrimination condamnable si l’on considère que les plus riches ont augmenté leur effort d’éducation sans rien enlever au reste de la population. Qui voudra empêcher des parents instruits d’instruire leurs enfants et les universités de réserver leurs bancs aux meilleurs élèves ? Qu’un fils de médecin cumule l’expérience de son père et sa formation doit pouvoir conduire à un meilleur médecin. Même principe pour un commissaire aux comptes, un haut fonctionnaire, un notaire, un enseignant … Après tout, un maçon apprend à son fils comment bien monter un mur.

Sauf que là-bas le coût de l’enseignement endette pour plusieurs années les moins riches, obstacle aux plus défavorisés. Ce pays a banalisé les inégalités qu’on pourrait finir par oublier, éblouis par la réussite de son modèle avec sa croissance exemplaire et son taux de chômage envié.

Un appareil nourri par son système éducatif.

Pour se désendetter, coincés ou conscients, les diplômés d’origine modeste, font allégeance à un système qu’ils servent de leurs compétences. L’escalier de leur réussite est à plusieurs niveaux, chacun contribuant à la consolidation de l’ensemble. In fine, les diplômés issus de familles aisées et moins aisées, s’inscrivent dans un même mouvement dont la finalité est une augmentation sans bornes de l’enrichissement de leurs employeurs assuré par leurs contributions.

Revenant en France, l’auteur de l’article (P. Rimbert) a feuilleté le trombinoscope des hommes politiques qui « …lui ferait oublié que devenir député, chef d’Etat ou de gouvernement ne requiert aucun diplôme » dans une Europe des « démocraties diplômées … qui dominent les institutions et les arènes politiques ». Qui peut s’en plaindre ? Sous peine de s’appauvrir, nos pays développés doivent être tirés par les compétences des plus instruits, nécessaires aussi à leurs croissances.

Sans y regarder de plus près, tout le monde y trouverait son compte.

Mais un indicateur laisse entrevoir une paille révélatrice avec «… la reproduction dynastique des 1% les plus riches qui dépensent 3,5 fois plus pour l’enseignement de leur progéniture qu’en 1996 ».

L’éducation deviendrait un investissement nécessaire pour assurer une bonne transmission de l’héritage des très riches.

On voit poindre ici la convergence de la richesse et de l’éducation, héritage nécessaire pour la permanence des élites et la pérennité de leurs fondamentaux économiques.

Tous les diplômés n’ont pas en héritage un patrimoine financier, social ou politique à transmettre mais leur participation est une nécessité pour transférer ; « … les ressources des 90% vers les 0,1% les plus riches … ». A cette fin, leurs motivations sont entretenues avec des revenus et des privilèges substantiels pour fidéliser ces acteurs indispensables.

 

Si en France le financement des études est sans comparaison avec celui des Etats-Unis, le résultat est semblable. Dans le secteur privé les diplômés dirigeants sont entretenus dans un carcan qui veille sur eux en leur distribuant suffisamment d’avantages pour garantir leur dévouement à la cause des résultats.

Pour mesurer l’efficacité de l’implication de ces diplômés « tenus », il suffit de côtoyer leurs collègues qui ont choisi des établissements publiques (chercheurs, établissements hospitaliers, laboratoires, services de l’Etat…) aux revenus sans comparaison, hors de la contrainte prioritaire des résultats financiers, et capables souvent d’un attachement viscéral à leur mission. Les résultats financiers ne sont pas une condition sine qua non à l'excellence.

Pour équilibrer ces modèles, la méritocratie estudiantine exigée pour accéder au summum de l’enseignement doit considérer une représentation équilibrée des couches de la société. La diversité des origines sociales des élites d’un pays est un indicateur de confiance supplémentaire pour une population parfois frustrée lorsque les seuls intérêts financiers dominent les décisions. Une nécessité au pays de l’Egalité, autant pour permettre à tous les citoyens d’accéder aux instances influentes que pour éviter les concentrations d’héritiers dominants monopolisateurs des richesses. Nul doute que notre Président sait que la consanguinité même sociétale produit immanquablement des imperfections un jour ou l’autre.

 

La question de l’éducation et de son financement n’est donc pas anodine et ne doit pas être taboue. Un accompagnement boursier à la hauteur de la nécessaire justice sociale permettrait d’aborder le sujet de la gratuité des établissements mais pas nécessairement pour tous.

Ceci dit, la 13e place de la France au classement mondial des meilleures universités situe la qualité de notre Education nationale que nos gouvernements souhaiteront conserver dans un monde qui bouge.

 

6000km à l’ouest, on ne joue pas dans la même cour.

Exemple.

L’université Cornell Tech à New York (environ 80 000 $/an/étudiant compensés par des bourses au mérite) avec un campus de 200 000 m2 pour 2 000 personnes et un coût de 2 milliards $ principalement financé par des dons, plante un autre décor. Un projet initié par l’ancien maire milliardaire de New York Michael Bloomberg (qui a offert le terrain de la ville), réalisé par un consortium Technion, (université d’Haïfa en Israël en collaboration avec celle de l’état de New York Cornell), et  sponsorisé notamment par Irwin Jacobs (350 000 $) qui y a installé le Jacobs Institut… Un environnement propice à la création de start-up qui lèvent déjà des millions de dollars.

 

Notre Président n’a probablement pas manqué d’y voir un enjeu qui dépasse celui « d’un enseignement supérieur qui n’a aucun prix ».

 

(*) 50 grandes écoles, 75 universités publiques, 160 universités privées (Universités Privées Techniques - Universités Privées Libres - Universités Privées d’intérêt général)

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