Ne pas rire (se moquer), ne pas déplorer, ne pas détester mais comprendre (Spinoza)
10 Novembre 2021
Après l’abolition de la peine de mort, Badinter écouté par le Président Macron prônait à l’occasion du 40e anniversaire au Panthéon, l’abolition universelle. Un chemin qui risque d’être long quand la moitié des pays de la planète conservent cette sentence et quand dans l’autre moitié, une majorité d’individus y reste favorable. Ce constat tient-il d’une opinion populaire entendue ou d’une posture intellectuelle élitiste ?
Plusieurs éclairages peuvent être nécessaires avant de se forger une conviction.
L’importance accordée à la vie est le marqueur des sociétés civilisées, imprégnées de celle des grecs anciens pour qui « … la peine de mort est un moyen de purification. Cependant que « nul n’est méchant volontairement ». Spinoza parlera plus tard de l’irresponsabilité de l’homme face à ses actes dont il n’a pas conscience puisqu’il ignore l’origine de ce qui le conduit à faire ses choix.
Avec l’abolition de la peine capitale l’Occident se serait-il néanmoins donné un supplément de bonne conscience à peu de frais ?
Une condamnation résulte d’un mélange de lois et de convictions qui changent au gré des époques. Sur l’échelle des sentiments qui parcourent les tribunaux, celui de la colère n’y a pas sa place et la vengeance capitale qui trônait au sommet des condamnations a été décapitée. La raison doit y dominer l’instinct.
Cette sentence a interpellé de nombreuses consciences dont celles des philosophes des Lumières (dans un contexte oublié d’erreurs judiciaires répétées), des humanistes détenteurs d’un droit exemplaire en conséquence de leur savoir, des croyants attentifs à des passages bibliques (que d’autres dénaturent), de ceux que l’idée de devoir remplacer un bourreau rebute…
Après de longues tergiversations, le nombre n'étant pas suffisant à la raison, une grande majorité de l’humanité y resterait favorable.
Pourquoi tant de résistances ?
Depuis très longtemps les tribunaux se sont substitués aux individus pour « rendre la justice », une expression qui mêle deux intentions. D’une part ils prononcent un verdict conforme à des lois après considération de circonstances, et d’autre part rendent aussi aux coupables une souffrance à la hauteur de celle commise. Un donnant-donnant juridique. Les sentences s’imposent y compris aux victimes, sans considération parfois du besoin de vengeance, cette nécessité réparatrice de la douleur qui doit être éduquée, dominée. Les tribunaux leur ont confisqué la possibilité de se faire justice, mais assouvissent avec la condamnation l’instinct primitif refoulé qui sommeille dans leurs consciences.
Mais on ne badine plus avec la peine de mort, cette sanction ancienne est devenue désuète. Des élites ont réussi à annihiler ce réflexe mental chez une partie de l’humanité quand il persiste pour d’autres.
Faut-il s’en étonner ?
Pendant des siècles les tribunaux se sont employés à démontrer le bienfondé des peines de mort prononcées, et du jour au lendemain, abandonné cet exercice.
Les premiers juristes de l’humanité l’avaient imposée il y a près de quatre mille ans, « L’exécution d’un meurtrier » était alors un acte juste dont l’enseignement provenait d’un commandement du Dieu d’alors. Satisfaisant au principe d’équité et de bon sens, cette justice mésopotamienne simple (œil pour œil…) s’imposera pendant des millénaires.
Puis changement de Dieu, changement de méthode.
Près de mille cinq cents ans plus tard le Deutéronome 32-35 des hébreux modifiait la consigne, leur Dieu reprenait à son compte le droit de justice; « C’est à moi qu’il revient de leur payer leur dû au moment où leur pied viendra à trébucher, car le jour de leur ruine se rapproche à grands pas, le sort prévu pour eux se hâte de venir. » Les rabbins empiéteront sur ce droit divin en décidant d’exécutions néanmoins possibles ; « …lapidation, bûcher, épée et strangulation »
Lapidation de Saint-Etienne par les juifs à Jérusalem
Plus tard le christianisme enfonçait le clou avec le Nouveau Testament (Romain 12), « Demandez à Dieu de faire du bien à ceux qui vous persécutent… Mes amis, ne vous vengez pas vous-mêmes, mais laissez agir la colère de Dieu, car il est écrit : C’est à moi qu’il appartient de faire justice ; c’est moi qui rendrai à chacun son dû. » Ce faisant l’idée de punition n’était pas écartée mais dévolue à Dieu. Un moyen de contenir une frustration avec une vengeance divine reportée « Un Dieu jaloux et vengeur, tel est le Seigneur ! Il se venge, le Seigneur, il est empli de fureur ! Le Seigneur se venge de ses adversaires, lui, il garde rancune à ses ennemis… Le Seigneur est lent à la colère, et sa puissance est grande, mais il ne laisse absolument rien d’impuni… » (Nahum 1). Probablement empreint de ce fondement, le catéchisme stipulera, « si celle-ci (la peine de mort) est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains …»
Le coran des musulmans édicte ; « Et, sauf en droit, ne tuez point la vie qu’Allah a rendue sacrée… » Les religieux reprendront la loi des rabbins « La loi islamique est claire en ce qui concerne le meurtre : la peine capitale est prononcée par l’autorité centrale selon la loi du « un pour un ».
Avec Calvin et Luther les protestants considèreront que la peine de mort « anticipe le châtiment divin ».
Matthieu Ricard moine bouddhiste humanitaire qui dénie la loi du Talion, est contredit par ses coreligionnaires birmans et les bastonnades mortelles administrées par leurs moines. Etc.
Les religions proclament la sacralité de la vie dont s’arrangent les éminences qui les servent.
Alors comment contenir cet affect qui colle à la peau de la nature humaine ?
Serait-ce parce qu’une condamnation à mort par un tribunal, donc juste, est restée de tout temps un acte grave et finalement suffisamment rare pour être accepté ?
Contrairement aux idées reçues, nous dit Claude Gauvard (médiéviste), le Moyen-âge n’a pas été une période plus mortifères que d’autres pour les exécutions capitales qui dépendaient des seigneurs ou du roi.
De même, les sources historiques ont montré que la diabolique Inquisition ne conduisait, sauf au pire moment de son effervescence portugaise, qu’un pour cent des jugés à la peine capitale lors de ses procès. Des bras séculiers se chargeaient des peines de sang que son statut lui interdisait de prononcer.
La peine capitale des tribunaux est restée au fil des siècles une sentence ultime décidée avec parcimonie par les juges. Des états allemands ne prononceront que rarement des condamnations à la fin du XIXe s. En 25 ans (1854 –1880) quatre sentences seront prononcées et trois exécutées.
En 1848, dans ces états une expérimentation de l’abolition a mis en évidence que le maintien de la sanction capitale était sans effet pour la sécurité publique. L’inutilité de la peine de mort est depuis répétée par les abolitionnistes pour ce motif.
L’abolition, une idéologie sans failles ?
Les comparaisons qui suivent ont nourri l’idée d’une posture intellectuelle attribuée aux élites qui ont associé peine de mort et barbarie, si l’on considère que l’abolition est une doctrine dont les états qui l’ont décrétée s’accommodent. Ils légitiment dans le même temps des assassinats au nom de leurs politiques. Quand la France mandate ses forces armées pour neutraliser (assassinat semi-occulte) le chef d’aqmi au Mali, elle décide une peine de mort à laquelle aurait échappé ce même terroriste s’il avait été traduit devant nos tribunaux. Si aucune voix ne s’est élevée contre cette sentence, doit-on comprendre l’acceptation de cette condamnation par les abolitionnistes aussi ?
Les ennemis de la France doivent savoir que son service Action et sa cellule Alpha mènent des guerres secrètes aussi pour venger ses morts. En Afghanistan des HVT (high value targets) en ont fait les frais. Depuis les attentats de Paris les consignes qui visent les terroristes ont été simplifiées; « search and destroy ». François Hollande aurait eu sur lui une liste de ces « ennemis de la France » à exécuter.
…
Est-ce le signe d’une contradiction d’un pays qui révèlerait ici une hypocrisie ? Le Président de la République qui applaudissait au Panthéon l’éloquence de Badinter et son dessein d’une abolition universelle de la peine de mort, avait-il sur lui aussi une liste de cibles à abattre ?
Une hostilité sélective à la peine de mort semblerait concevable.
L’Europe a déclaré « inacceptable cette sanction (la peine de mort) ». Pourtant personne en Europe ne s’est opposé au jugement par l’Irak des prisonniers européens qui ont combattu avec daech (sauf leurs affidés et autres avocats mercantiles), au contraire. Pourtant ils y risquent une peine de mort qui serait donc acceptable pour des pays abolitionnistes dès lors qu’ils n’ont pas à la prononcer dans leurs tribunaux.
La Cour pénale internationale a supprimé la peine de mort pour les pires criminels qu’elle juge et se tait dans le même temps quand les états agissent avec leurs forces spéciales.
Forces spéciales britanniques
Un peu plus tard Joe Biden depuis la Maison Blanche clamera à la TV le succès d'une frappe chirurgicale avec un missile ; « ... sur mes ordres, les Etats-Unis ont mené à bien une frappe aérienne sur Kaboul qui a tué l’émir d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri ... Il ajoutera: "Justice à été rendue et ce dirigeant terroriste n'est plus."
Voilà des contradictions qui devraient heurter nos consciences à moins qu’elles n’aient pas été interrogées. Quelle importance accorder à notre propre opinion si elle n’est guidée que par celles des autres ?
A moins que l’abolition soit une étape sur le chemin qui conduira un jour à la fin de toutes les formes d’atteinte à la vie humaine.
En attendant, si j’étais terroriste je serais contre la peine de mort... pour moi.