23 Octobre 2021
Les grecs et les romains la considéraient comme une persécution. Pourtant elle reste pratiquée en Europe malgré les "violations de l'intégrité physique des enfants" dénoncées par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe avec une résolution en 2013. Elle suivait le tribunal de grande instance de Cologne qui avait condamné la circoncision. En France elle est théoriquement interdite (art. 16-3 du code civil): "Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui". Pour mesurer son impact on utilisera l’expression argotique « peau d’zob» (mot hébreux). Insignifiant.
Pourquoi ?
En réaction, le ministère israélien des Affaires étrangères adressait une injonction au Conseil de l'Europe pour qu’il « revienne immédiatement sur cette résolution ! » Des voix juives se sont élevées en Allemagne pour dénoncer une nouvelle « extermination des juifs » et d’accuser les promoteurs de la résolution d’« antisémitisme » au motif que « c’est dans la Torah ».
Le Conseil français du culte musulman (CFCM) suiveur des israéliens s’indignait, « contre cette résolution… en s'étonnant du silence des dirigeants musulmans qui n'ont pas réagi». Probablement parce que le Coran n’en fait pas état.
L’Europe condamne l’excision des jeunes filles à six ans de prison mais pas encore la circoncision. Elle aurait pourtant là le moyen d’imposer un principe de protection de l’enfance indiscutable, sauf pour des communautaristes obtus libres de rejoindre d’autres cieux.
Cette mutilation archaïque identitaire est répétée depuis des siècles par des communautés de croyants qui ont oublié ou perverti son sens originel. Si les motifs accablants de la résolution n°1952 de 2013 ne suffisent pas, un voyage aux sources antiques de la circoncision bien antérieures à Abraham (premier circoncis biblique), devrait convaincre ceux qui lui donnent une origine religieuse, quand elle ne l’est pas.
Shimon Peres s’est opposé à cette mesure au motif d’une «… tradition de la circoncision qui remonte à des milliers d'années et qui constitue un élément fondamental du judaïsme et une de nos obligations en tant que juifs », quand des pays africains ont su, eux, faire leur révolution culturelle en interdisant l’excision. Il a oublié que le traumatisme des Maccabées, ces juifs du IIe s. av JC qui voulaient pratiquer la gymnastique nue des hellènes, pour masquer leur circoncision se faisaient faire des prépuces. Le Premier livre des Maccabées écrit par les traditionalistes contre qui ils étaient en révolte, commentera; "Ils firent disparaître les marques de leur circoncision et ainsi, se séparant de l'alliance sainte, ils s'associèrent aux nations et se vendirent pour faire le pêché"
La péritomie est encore partagée par des individus aux identités culturelles hétéroclites. Le sens primitif échappe à ses auteurs actuels en Europe qui le reproduisent avec une intention identitaire.
Elle est répandue un peu partout dans le monde ; tribus d’Amérique du sud, Amérique du nord, nombreux pays africains (1), animistes... sans connotation religieuse, comme ces anglo-saxons qui ont pensé à la circoncision comme moyen pour empêcher la masturbation.
Seuls les juifs l’ont transformée en commandement religieux. Ce motif est-il suffisant alors qu’ils ont déjà abandonné de nombreuses règles désuètes comme la condamnation à mort des homosexuels ?
De nécessaires évolutions doivent accompagner leur temps.
Des juifs évolués, se sont rencontrés au Colorado (EU) pour remplacer le rituel du « brit milah » (circoncision) par celle du « brit shalom », cérémonie de bienvenue au nouveau-né. Delphine Horvilleur rabin à Paris pourrait se rapprocher de ses coreligionnaires américains, plutôt que de vanter la circoncision auprès de son auditoire conservateur parisien en voie d’extinction (Attali). Craindrait-elle l’influence des juifs messianiques en Israël et aux Etats-Unis ? Elle pourrait leur rappeler aussi la volonté de ces juifs hellénistes du IIe s. av JC (Maccabées), révoltés contre les traditionalistes; "Allons et unissons-nous aux nations autour de nous, car depuis que nous nous tenons séparés d'elles, il nous est arrivé beaucoup de malheurs". Un constat et une prémonition.
Remonter aux sources de cette mutilation pourra aider ceux qui lui attribuent encore une origine confessionnelle.
On n’approchera pas ici les motifs médicaux fantaisistes ou sexuels dont seuls les circoncis qui ont eu des relations avant leur mutilation (en existe-t-il ?) peuvent parler.
Le Maharal (rabbin talmudiste mystique) a livré son opinion; « ...par le retrait du prépuce, l’organe s’affaiblit et de ce fait diminuera le désir superflu afin de se contenter du nécessaire sans la concupiscence ».
En Europe les musulmans constituent un bataillon important d’adeptes. Bien après les juifs, ils se rattacheront aussi à Abraham (considéré comme non juif ), par son fils Ismaël né de sa relation avec sa servante égyptienne Agar. Ismaël sera circoncis à l’âge de treize ans, comme encore certaines tribus africaines qui ont conservé cet âge de référence pour leur pratique non religieuse. Mentionnée dans les hadiths et pas dans le Coran, ils ont donné un caractère « religieux » à cette tradition et relié aussi à Abraham cette coutume.
Pour remonter aux origines de ce syncrétisme judéo-islamique, on remontera les milliers d’années de l’histoire juive évoquées par Shimon Peres.
Elles conduisent en Egypte.
Hérodote (Ve s. av JC) rapportait que « les égyptiens se font circoncire par principe de propreté parce qu’ils en font plus de cas que de la beauté… Les Phéniciens et les Syriens de Palestine reconnaissent qu'ils tiennent cet usage des Egyptiens… » Et pensait à propos de son origine chez les « …Egyptiens, les Colchidiens et les Ethiopiens qu’elle remonterait à des temps immémoriaux » (2).
Il ne connaissait probablement pas le bas-relief de la tombe d’Ankhmahor à Saqqarah (2350 av JC), qui valide son intuition.
Scènes de circoncision tombe d’Ankhmahor.
Une autre représentation du mastaba de TY (2400 ans av JC) avec ces hommes circoncis laisse penser à une pratique répandue.
« Le signe du phallus que nous pouvons rencontrer en parcourant les hiéroglyphes montre cet organe sans prépuce » nous dit Paul Lafargue (2).
Plus de mille ans après, le temple de Khonsou (3) révèle la persistance de cette pratique. Mais leurs motivations restent incertaines ou plurielles ; rite initiatique, mesure d’hygiène, signe de pureté, rituel religieux… Voltaire rapportera que « Pythagore (VIe s. av JC) voyageant en Egypte, aurait été obligé de se faire circoncire pour accéder à leurs mystères » et laisse entendre que la circoncision pouvait être une nécessité pour certains initiés, les prêtres, astrologues… Diodore et Strabon (1er s. av JC) affirment que les juifs ramenèrent cette coutume d'Egypte (4).
Pour relier ces pratiques de l’antiquité égyptienne qui existaient avant Abraham père de la religion juive, à leur adoption par les israélites, il faut considérer les siècles de leur immigration en Egypte, possible conséquence de conditions de vie difficiles. Un texte provenant de la tombe du pharaon Horemheb (1290/1350 ans av JC) raconte que « Beaucoup d’étrangers qui ne savent pas comment vivre sont venus. Leur pays meurent de faim et ils vivent comme les bêtes du désert ». Une chronique égyptienne raconte une expédition de Toutmosis III (vers 1450 av JC ) qui aurait ramené de nombreux prisonniers dont des hébreux.
Mais est-elle aussi ancienne pour les juifs ?
Les textes bibliques relatent la fuite des hébreux d’Egypte avec Moïse vers 1440 av JC, alors que la première trace d’une mention signalant l’existence d’Israël en Egypte est plus tardive. Datée du XIIIe s. av JC sur la stèle de Mérenptah, elle mentionne des victoires sur les territoires du nord de l’Egypte… « Israël est détruit, sa semence même n'est plus ».
Quoiqu’il en soit, les textes juifs disent d’Abraham, qu’ »…ayant reçu le commandement de la circoncision il la pratiqua sur lui-même à l’âge de 99 ans, et l’imposa à tous les hommes de la communauté, esclaves compris et pour les nouveaux nés, au huitième jour... » Sa naissance se situerait vers 1750 av JC à Ur en Mésopotamie et serait donc postérieure aux premières traces archéologiques de la circoncision en Egypte. Elle aurait laissé des siècles aux israélites pour adopter ce rite pendant leur séjour en Egypte (6).
Pour des chercheurs de l’université de Tel-Aviv l’exode se situerait plutôt vers le VIe s. av JC, en concordance avec les traces formelles de leur vie en Egypte encore à cette période (6). De nombreux papyrus attestent l’antériorité égyptienne de leurs pratiques (5), comme on l’a vu avec les inspirations culturelles et l’adoption des divinités par les israélites d’Eléphantine (6).
Les mœurs et la médecine des immigrés israélites s’imprégnaient naturellement de l’éducation de leurs hôtes. Le papyrus EBERS (XVIe s. av JC), mentionne une obligation faite aux femmes égyptiennes ; « …Après l'accouchement, la femme devait passer quatorze jours de «purification» en dehors du lieu de vie… », qui se retrouvera dans la Torah (lévitique 12:2-5) ; « …Lorsqu'une femme deviendra enceinte, et qu'elle enfantera un mâle, elle sera impure pendant sept jours ... Le huitième jour, l'enfant sera circoncis. …Si elle enfante une fille, elle sera impure pendant deux semaines... » Un des nombreux traits de la culture dominante adoptés par les israélites.
De même les musulmans du Hedjaz (où vécu Mahomet) occupé par de nombreuses tribus arabes alors juives, sont les héritiers de la culture monothéiste judéo-chrétienne et des pratiques ancestrales locales.
Au Proche-Orient des chrétiens perpétuent la tradition locale de la circoncision. Pourtant l’Apôtre Paul l’avait abandonnée pour les adeptes du christianisme, considérant « Que l'on soit circoncis ou non n'a aucune importance. Ce qui importe, c'est l'obéissance aux commandements de Dieu ».
Grace à Dieu, sa décision aura évité des milliards de mutilations pendant deux mille ans.
(2) Bulletin d’anthropologie « la circoncision, sa signification sociale et religieuse » de Paul Lafargue
(3) description du temple de Khonsou par Maurice Pillet
Nota. La description du temple de Khonsou à Karnak mentionne « deux divinités… qui assistent à la circoncision de deux enfants royaux ou d'un enfant et de son ka… » et rappelle que « …F. CHABAS a fourni une étude plus précise « …Les fouilles dans le petit temple de Khons…ont mis à découvert un bas-relief qui représente une scène de circoncision… très vraisemblablement la circoncision de deux des fils de Ramsès II, fondateur du temple de Khons."
(4) Thèse de Pascal Hennequin « Santé et hygiène de l’enfant dans l’Egypte antique »
(5) Des textes de médecine provenant du papyrus de Kahun se retrouvent dans ceux d’Hippocrate (Ve s. av JC)