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L'apostilleur

Ne pas rire (se moquer), ne pas déplorer, ne pas détester mais comprendre (Spinoza)

Miss Algérie excite les racistes anti-noirs. Le racisme au Maghreb, un concept à deux faces.

L’élection de Miss Algérie a provoqué un flot de réactions racistes anti-noirs en Algérie qui a du déplaire à Marwan Muhammad du collectif contre l’islamophobie en France, impliqué dans la récente manifestation anti-islamophobie.

 

Alors qu’on aurait pu s’attendre à un large engouement populaire à l’occasion de l’élection de Miss Algérie, l’événement a provoqué chez nombre d’algériens des réactions jugées racistes par d’autres algériens d’abord, au motif que cette ravissante personne native du sud du pays, a la peau trop mate. De saines réactions ont donc fleuri ici et là dans le pays pour dénoncer ces détestables errements. On aurait pu en rester là après avoir salué l’opposition des antiracistes.

Pour en apprendre un peu plus sur cette Algérie partagée, de nombreuses sources nous instruisent sur ce phénomène de société et parmi elles, une vidéo, qui présente l’affaire à priori sous de bons auspices en défendant la lauréate, sous couvert d’un antiracisme respectable. Mais un peu plus loin le ségrégationnisme anti-noir de certains algériens est réfuté à partir d’informations déformées et fait diversion grossièrement ;

- en accusant « un organe xénophobe français ( ?) d’avoir publié avec beaucoup d’ironie : ‘’et ce sont eux qui nous traitent de racistes et ce sont eux qui veulent nous imposer leur loi et leur religion’’ »,

- en dénonçant « …les médias dans le monde qui du jour au lendemain ont voulu véhiculer cette image (d’une Algérie raciste) »

- et déniant que « ...du jour au lendemain les algériens seraient devenus des racistes. »

Visiblement des algériens d’Algérie n’apprécient pas l’étiquette raciste attribuée à leurs compatriotes, et par conséquent à leur pays.

 

Afin de disculper les algériens, l’auteur nous présente une photo de l’élue jugée ‘’moins à son avantage’’, qui aurait été diffusée « sur les réseaux sociaux » pendant l’élection et prétend que les algériens accusés de racisme, auraient alors réagi en considération de cette seule photo, jugeant que cette personne ne correspondait pas aux canons attendus d’une Miss Algérie. Par ce motif, on éloignait le caractère raciste des très nombreuses réactions des protestataires qui donc, n’auraient pas assisté à l’élection.

 

Alors qu’en est-il vraiment ?

 

Le Monde présentera un contexte différent dans son article « Miss Algérie 2019 face au racisme et au sexisme » et nous dira qu’« à peine diffusées sur les réseaux sociaux, les premières photographies de la gagnante, en longue robe de soirée dorée, lui valent de nombreuses insultes racistes. » La question du racisme anti-noir en Algérie se dessinait pour qui ne regarde que d’un peu loin la société algérienne.

 

D’où quelques recherches complémentaires pour se forger une opinion.

Au passage, l’observateur attentif rapprochera ces réactions d’antiracisme avec celles de Marwan Muhamad, guide de la manifestation anti-islamophobie qu’il a qualifiée de « … plus importante manifestation antiraciste (à Paris) depuis les années 80… ». On regrettera de ne pas l’avoir entendu alors s’adresser aux coreligionnaires racistes de son pays d’ascendance. Ceux qui savent avec quelle véhémence il a défendu (chez Taddéï notamment), les discriminations des musulmans en France espèrent une réaction de sa part à l’encontre des racistes algériens. Car pendant que des musulmans protestent contre le racisme dont ils sont victimes en France, certains de leurs frères algériens dévoilent leur racisme au pays.

 

L’écrivain Kamel Daoud (Goncourt) éclaire avec son article dans Jeune Afrique des comportements en Algérie à l’endroit de noirs africains ou de non musulmans. Son récit expose une réalité que les répliques des algériens antiracistes respectables ne suffiront pas à dissimuler.

 

Ce qui suit n’a pas pour objet de relativiser les dérapages discriminatoires observés en Occident à l’endroit de certaines communautés. Ces témoignages sont une réalité qui mérite d’être connue de tous y compris de ceux qui manifestent avec une étoile jaune déplacée, lors de la manifestation contre l’islamophobie, au prétexte d’une victimisation hors de comparaison. Peut-être auraient-ils pu ajouter aux motifs de cette manifestation, celui condamnable de l’apartheid ethno-religieux de certains berbères musulmans du Maghreb. La bruyante manifestation contre l’islamophobie se serait enrichie d’une belle cause.

 

Le réquisitoire accablant, ci-après, gagnerait à être connu de ces manifestants qui revendiquent ce que leurs coreligionnaires refusent à d’autres. Sur l’échelle du racisme chacun mesurera le degré de victimisation proclamé des manifestants musulmans en France (sans l’excuser) quand on en sait davantage sur celui des racistes musulmans du Maghreb que les premiers taisent.   

Kamel Daoud, clairvoyant et courageux, dresse un portrait sévère de son pays. La présentation sociologique des événements qu’il révèle démasque des comportements accentués par l’immigration subsaharienne grandissante et leurs fondements religieux pour certains.

A propos de ces démunis qui débarquent en Algérie il nous dit « …qu’ils ont vite compris qu’ici il n’existe pas d’empathie entre hommes, seulement entre coreligionnaires…  LA VISION DU NOIR EN ALGÉRIE, MARQUÉE PAR UNE DISCRÈTE DISTANCE PENDANT DES ANNÉES, S’EST TRANSFORMÉE EN REJET VIOLENT…»

Il se justifie d’un exemple qui illustre la déconsidération de certains pour le migrant et le non-musulman, comme celle de la police envers les mêmes. « Une migrante camerounaise a été victime d’un viol collectif sous la menace d’un chien. La femme est allée porter plainte auprès des autorités, mais elle a été rejetée sous deux prétextes majeurs : elle n’avait pas de papiers et elle n’était pas musulmane. Si en Europe un migrant peut tenter de jouer sur l’humanitaire et la culpabilisation, en Algérie, depuis quelques années, l’Autre n’est visible qu’à travers le prisme des confessions. En Occident, le racisme voit la peau ; en terres arabes, il voit la religion. Cependant, ces deux racismes sont liés : l’Occidental nie l’Arabe, et à son tour l’Arabe nie le Noir… ».

On pourra néanmoins éclairer Kamel Daoud sur l’ancienneté de son diagnostic en Occident. Le racisme a fait place depuis quelques décennies à une xénophobie culturelle conséquence de l’échec d’un multiculturalisme condamné partout en Europe depuis vingt ans.

D’autres exemples illustrent le racisme anti-noir en Algérie avec la chasse aux migrants à Ouargla. « Cette vague de xénophobie, d’une violence sans précédent, a dévasté le Sahara algérien sans soulever d’objection massive : la dénonciation du racisme est généralement réservée pour les crimes de l’Occident. »

Il ponctue d’une formule qui s’impose peut-être plus encore en Algérie ; « Abus chez les autres, nécessité chez soi. » et dénonce «… les élites laïques et de gauche qui se sont rendues myopes en cultivant le traumatisme colonial comme seule vision du monde. » Les récentes déclarations (Courrier International) du ministre xénophobe algérien de l’Intérieur en campagne confortent le jugement de Kamel Daoud ;  “Nous ferons barrage au colonialisme brutal, ou à ce qu’il en reste. Malheureusement, cette pensée [colonialiste] est utilisée par des Algériens, ou des pseudo-Algériens, des traîtres, homosexuels et mercenaires. Ils sont restés aux côtés de ces gens. Ils ne font pas partie de nous, ni nous d’eux”. On comprend qu’il ne fait pas bon être homosexuel, noir, ancien colonialiste ou non musulman en Algérie.

Les religieux ne sont pas épargnés par Kamel Daoud ;  « Les intégristes religieux ne sont pas moins racistes. L’Autre est musulman ou il n’est pas… comme les élites laïques, ils voient les Noirs comme victimes de l’injustice des Blancs colonisateurs, mais à leurs yeux la réparation n’est possible qu’avec l’aide d’Allah…lorsqu’on est noir, adhérer à l’islam n’est pas gage de sécurité. Il suffit du crime d’un seul pour que des centaines d’autres connaissent l’expulsion… même les Noirs musulmans ne sont pas vraiment musulmans. »

On notera ici, le fait aggravant d’un racisme dépeint sur fond de prééminence religieuse islamique sectaire de quelques-uns. 

 

Ce panorama pourra-être complété à l’envie par qui voudra lire les articles qui jonchent le racisme anti-noir au Maghreb.

Salah Trabelsi, historien tunisien, s’est fendu d’un article sur les sources historiques de cette discrimination et révèle « …Qu’ils en soient natifs ou non, les Noirs au Maghreb font l’objet d’une déconsidération doublée de discrimination…tenus jusque-là sous le poids du silence et du déni… ». Il aurait pu rappeler le génocide des esclaves noirs, concomitant avec l’arabisation du Maghreb qui a tissé les rapports entre les esclaves et les musulmans pendant plus de mille ans, jusqu’à ce que les français libèrent les derniers à Alger en 1830.

Pour souligner les différences d’identité entre les populations subsahariennes et celle des pays maghrébins, il rappelle que ces derniers revendiquent celle des arabes (les envahisseurs qui ont imposé leur langue, revendiquée aujourd’hui bien que non majoritaire), une arabité génétique en réalité ultra-minoritaire (au détriment de leur berbérité historique généralement refoulée), et une religion qui relativise la vie sur terre au profit de celle après la mort. Autant de différences avec les subsahariens et l’Occident.

Des algériens musulmans s’élèveraient en transgressant le hadith de la zakat (charité religieuse obligatoire au profit des musulmans et troisième pilier de l’islam sunnite) en l’élargissant à tous les déshérités, et en bannissant aussi l’opinion ancienne d’Ibn Khaldoun à propos des noirs qui « …ne méritent pas d’être comptés parmi les hommes ».

Ces quelques lignes n’ont pas vocation à exprimer une aversion envers les personnes mais à éclairer l’origine des dissentiments qui séparent les sociétés occidentales laïques, des archaïsmes qui perdurent au Maghreb. On attend que les esprits éclairés qui les dénoncent trouvent le soutien massif des communautés musulmanes répandues en Occident plutôt qu’un lourd silence, interprétation possible d’une connivence communautaire.

Le chemin sera-t-il encore long ?

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