Ne pas rire (se moquer), ne pas déplorer, ne pas détester mais comprendre (Spinoza)
30 Mai 2018
Le Président, Stéphane Bern et le loto apportent leur pierre au patrimoine
Saluons d’abord cette action en faveur de nos propriétés nationales, ce dont personne ne se plaindra, tant il y a longtemps que l’on attendait ça. En confiant à Stéphane Bern une mission en faveur du patrimoine, le Président souhaite marquer pour ce legs historique, son intérêt qui rejoint celui des français et pas seulement.
L’enjeu est de taille, au-delà du prestige national, le patrimoine est réparti sur le territoire et représente potentiellement une manne économique inestimable. La tâche est ardue et s’y atteler au plus tôt est une nécessité que le temps presse.
Si chacun peut comprendre que l’ampleur de cet héritage de vielles pierres leste nos finances publiques, à y regarder d’un peu plus près on découvrira que des freins existent ici et là, autant d’obstacles à leur sauvegarde. Les réactions dont Le Figaro s’est fait l’écho, les dévoile pudiquement ; « La décision du chef de l'État a fait tousser la Rue de Valois, (Ministère de la culture) et dans les milieux culturels, encore plus quand Stéphane Bern s'en est pris aux personnels du ministère de la Culture. «Il y a des gens qui dirigent le patrimoine depuis quelques années, et si le patrimoine est dans un si mauvais état, c'est que, visiblement, ils n'ont pas forcément bien réussi», avait-il dénoncé au début de l'année en se plaignant qu'on lui mette «des bâtons dans les roues».
Visiblement les opinions divergent sur la méthode à employer. Plusieurs voies conduisent à la préservation de nos bâtiments.
Celle de l’Espagne.
Au début du XXe s. le roi d’Espagne Alphonse III, incapable de financer la restauration de ses prestigieux bâtiments, les a sauvés en autorisant leur privatisation. Les Paradores (*), hôtellerie de luxe, installés dans des lieux prestigieux (palais, monastères, châteaux…), sont apparus ainsi un peu partout en Espagne. Cette solution probablement la seule possible à l’époque, n’est pas satisfaisante en ce qu’elle a pour conséquence de confisquer les biens publics.
(*)https://www.spain.info/fr/reportajes/el_placer_de_unas_vacaciones_en_los_paradores_de_espana.html
Celles de la France.
Incapable de financer toutes les restaurations et l’entretien permanent de notre patrimoine, deux possibilités principales cohabitent aujourd’hui, la vente ou la restauration de ces biens sous le contrôle des « Architectes des Bâtiments de France » (ABF).
Superviseurs du patrimoine français, ils sont les gardiens de la remise en état et de la conservation des bâtiments publics et privés que l’Etat aide financièrement. Ils sont le passage obligé entre le patrimoine et l’Etat.
Leurs compétences garantissent la préservation du caractère des ouvrages et s’appuient sur un tissu d’artisans et de sociétés spécialisées aux savoir-faire reconnus. Les règlementations et les compétences qu’elles imposent nous garantissent l’excellence des travaux de conservation.
Sauf que les ABF, comme les gargouilles d’un pinacle gothique, surveillent du haut de leurs attributions les agitations des restaurateurs sans se soucier des financements que leurs commandements imposent, c’est là que le bât blesse.
Un peu plus d’une centaine au ministère de la Culture pour 45000 monuments, ils règnent sans partage ni concurrence sur les biens nationaux avec pour objectif, la qualité des résultats pour ceux dont ils s’occupent ; les plus remarquables.
Les autres attendront autant qu’ils le pourront.
Nos réglementations ne discernent pas les bâtiments du patrimoine. Tous ne bénéficient pas de l’intérêt de l’Etat et des ABF, néanmoins les mêmes règles s’imposent. L’exemple du Pavillon de la Muette un peu plus loin nous éclaire sur l’incongruité d’un système qui préfère abandonner son patrimoine plutôt que ses prérogatives.
Le mieux serait-il l’ennemi du bien en la matière ?
Car les bâtiments qui échappent à leur intérêt, soumis de temps en temps au pillage, continuent leurs lentes dégradations jusqu’à la ruine parfois.
Si en 1840, l’inspecteur général des monuments historiques Mérimée avait obligé Eugène Viollet-le-Duc aux mêmes contraintes que celles qui s’imposent aujourd’hui à nos restaurateurs, que seraient devenus, Vézelay, Carcassonne, Pierrefonds, Saint-Denis, la Sainte-Chapelle…
Certes ses nombreux détracteurs lui reprochèrent des restaurations infidèles ou osées (il projetait de surélever de flèches les tours de Notre-Dame de Paris).
A cette frénésie incontrôlée de reconstructions « à moindre coût » mais capable de faire face à l’urgence des dizaines de chantiers monumentaux de restauration qu’il conduisit, s’oppose aujourd’hui le carcan administratif pointilleux entre les mains des ABF, qui limite le nombre des interventions devenues impossibles à financer.
Une fois les bâtiments magnifiquement remis dans leurs jus à « coûts » de subventions, actions de mécénats et autres dons déductibles, se pose toujours la question du financement de leur entretien. Le problème restera donc sans fin aussi longtemps que les conditions qui concernent ces bâtiments seront soumises aux mêmes contraintes.
Pour comprendre l’imbroglio des responsabilités administratives et des blocages qui parsèment la croisade du sauveteur de patrimoine, l’exemple du Pavillon de la Muette dans la forêt de Saint-Germain en Laye à proximité de Maison Lafitte est éloquent.
Situé dans la forêt, ce pavillon de chasse construit par Gabriel pour Louis XV, a des origines plus anciennes encore, François Ier, Henri IV. Ses fondations se confondent avec celles d’un bâtiment fortifié encore bien visibles dans les caves. Sans entretien pendant des décennies, le plafond du pavillon rongé par les pluies que la toiture ravagée laissait pénétrer, s’est effondré sur un magnifique parquet « en soleil » que l’humidité gonflait. La cheminée monumentale avait été dérobée et les façades se laissaient glisser par pans entiers sur les pavés qui ceignaient le pavillon. La désolation qui gagnait le majestueux pavillon, ne lui enlèverait son charme qu’à sa destruction finale; amputer de son éclat originel il résistait encore.
Le Pavillon de la MUETTE à l’abandon nécessitait d’importants travaux estimés à 2,5 M € par un ABF. Ayant fait l’objet de déprédations, son accès restait interdit au public. Une exploitation commerciale ne pouvant pas supporter cet investissement, des sociétés approchées n’ont pas donné suite, la durée des contrats de concession accordée par l’Etat ne permettant pas l’amortissement de l’investissement.
Les réunions organisées avec la Sous-Préfecture, les mairies de Maisons Lafitte, de Saint-Germain-en-Laye et les administrations concernées ne trouvaient pas de solutions
…
Comment en était-on arrivé là ?
Il dépendait de l’Office National des Forêts lequel ne dispose ni des compétences ni des budgets pour sauvegarder le patrimoine dont il est attributaire.
Sous tutelle du Ministère de l’Agriculture, le responsable des bâtiments de l’ONF a organisé une réunion au Ministère afin que soit présenté le Plan de Sauvegarde et d’Entretien du Pavillon de la Muette qui lui avait été proposé par des volontaires du patrimoine. Au préalable, le soutien des personnalités du territoire impliqué avait été acquis et le ministre de l’Agriculture averti par le député-maire de Maison Lafitte quant à l’intérêt du projet.
Le concept global et générique applicable à d’autres sites part du principe qu’une exploitation commerciale est nécessaire pour subvenir aux besoins ultérieurs d’entretien du Pavillon de la Muette, et du constat que les financements publics ne permettent pas seuls, sa remise en état.
Considérant que le Pavillon de la Muette devait bénéficier d’urgence de travaux de restauration et d’adaptation à sa future utilisation, il convenait à partir d’études marketing, de choisir les solutions d’exploitation des bâtiments adaptées à leur caractère et aux intérêts locaux parmi les opportunités commerciales et culturelles retenues pour le site.
Les restaurations, réalisées sous le contrôle d’un ABF, étant conduites dans la perspective des activités projetées. Les financements provenant des différentes sources étatiques et privées (mécénat) qu’il convenait de consolider autour des projets retenus.
Ce fut l’occasion de rencontrer au ministère (**) des interlocuteurs passionnés, volontaires et impuissants sous le contrôle d’une hiérarchie dont les décisions étaient encadrées par leur contrat de mission qui ne prévoyait pas cet engagement.
Finalement, de retour ver l’ONF, le directeur financier et le responsable immobilier concluaient l’histoire lors d’une ultime réunion: « …l’ONF n’a aucune politique de valorisation et d’exploitation permettant sa restauration. L’ONF ne dispose que d’environ 1000 € par an et par bâtiment (en 2007) et reconnaît que si rien n’est entrepris le Pavillon de la Muette est condamné à disparaître. » L’ONF ayant signalé ce pavillon à France Domaine, il convenait dès lors de s’adresser à eux pour son avenir hors du champ de l’Etat.
Après 11 mois de réflexions et de réunions de travail, le projet fut arrêté « par manque d’engagement politique » confia lors d’une rencontre sur ce sujet un ancien directeur de cabinet du ministère de l’Agriculture, commissaire à l’Aménagement des Domaines Présidentiels de MARLY et RAMBOUILLET en poste à l’Elysées.
Finalement le Pavillon de la Muette a été vendu 800 000 € à un diplomate et à un peintre bulgare.
Il est regrettable que ces bâtiments historiques échappent à la propriété de l’Etat qui pourrait contracter avec des Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial ou des entrepreneurs privés dans un cadre contrôlé avec partage de la jouissance, charte de fonctionnement et autres conditions spécifiques à chaque site. L’Etat n’a pas encore vraiment la volonté de s’engager dans cette voie qui supposerait une remise en cause de notre conception monolithique de la conservation du patrimoine et des missions de nos ABF.
Pourtant des cas existent.
A Fontevraud on a franchi le pas. L’Abbaye Royale s’est laissée transformer en hôtel laissant un souvenir inoubliable à qui a dormi dans une cellule de moine et pris son petit déjeuner dans le cloître. Un Parador à la française.
Sans cela, l’Etat continuera à faire d’une pierre deux coups; en remplissant ses caisses lors de la vente du patrimoine (par la Direction immobilière de l’Etat ex France Domaine), il règle le problème de son entretien.
L’initiative engagée par Stéphane Bern ne doit donc pas en rester là sauf à solliciter pour encore longtemps les français par l’impôt volontaire du loto.
(**) Personnes rencontrées au Ministère de l’Agriculture :
Responsable du département des affaires juridiques et financières
Bureau du patrimoine immobilier
Secrétariat général
Direction générale de la forêt et des affaires rurales (tutelle de l'ONF)
Mission des affaires générales
Chargé de mission auprès du sous-directeur de la logistique et du
patrimoine.
ABF
Liste des personne ayant soutenu le « Projet de Sauvegarde et d’Entretien du Patrimoine » présenté au Ministère de l’Agriculture :
le Sous-Préfet de Saint-Germain-en-Laye,
le service Foncier et Territorial de l'ONF,
le service de l’Urbanisme de Saint-Germain-en-Laye
le député-maire de Maison Lafitte (impliqué auprès du ministre de l’Agriculture pour attirer son attention sur l’intérêt du projet)
le député-maire de Chambourcy (présentation du projet dans son bureau de l’Assemblée National)