28 Novembre 2017
Les Balkans peuvent-t-ils échapper à la recommandation de Houellebecq ?
A La Haye, le tribunal a jugé les actes de Ratko Mladić. Dont acte. Après cela, quelle garantie reste-t-il qu’un nouveau Srébrénica ne se reproduira pas puisque la cause subsiste et notamment en Bosnie et Herzégovine ?
Qu’en est-il de la cause ?
Comme toujours, les germes du drame s’éparpillent au gré des événements qui jalonnent l’histoire du territoire où se mêlent cultures donc religions, envahisseurs, guerres et massacres qui imprègnent la mémoire des peuples.
Quelques repères révèlent les causes et les origines de la déflagration.
En 1203, la Hongrie marque les Balkans de son empreinte catholique en imposant à différents courants religieux (principalement cathare), « la conversion ou la mort » reprenant à son compte la « loi du fer de Dieu » - le baptême ou la mort - imposée aux Saxons en 775 par Charlemagne.
Le catholicisme s’établit et ne sera supplanté que partiellement par l’islam des ottomans, l’instabilité religieuse s’installe.
Les musulmans utiliseront d’autres stratagèmes au milieu du XVe s. en Bosnie–Herzégovine, comme ailleurs. Les pratiques ottomanes (paiement du haraç, impôt supporté par les non musulmans et le devşirme, enlèvement organisé des enfants chrétiens destinés à devenir mercenaires) se heurtèrent à la résistance des catholiques et orthodoxes qui représentent encore la moitié de la population quand ils se révoltent après quatre siècles d’occupation, en 1831 (Bosnie) et 1875 (Herzégovine). Les bachi-bouzouks, mercenaires musulmans massacrent alors les révoltés. S’ensuit une guerre Russie et Autriche-Hongrie contre les ottomans… la Yougoslavie et ses événements.
En février 1992, un référendum d'autodétermination de la Bosnie est organisé. Seuls les Croates et les musulmans votent. Les serbes de Bosnie qui représentent un tiers de la population ne reconnaissent pas le résultat. Karadzić, Président de la République des Serbes de Bosnie et Herzégovine auto-proclamée, déclare alors « une guerre inter-ethnique et religieuse est inévitable ».
Le décor est planté, on connaît la suite mais peut-être pas la fin.
L’indélébile mémoire des antagonistes leur rappelle leur histoire dont les ressentis demeurent, ils nourrissent l’adversité et exacerbent les différences communautaires. En l’occurrence, l’envahisseur turc a marqué les Balkans et jusqu’à Vienne au XVIIe s. La conversion forcée des populations soumises, moins radicale que celles de l’empereur romain THÉODOSE Ier LE GRAND, qui impose en 380 le christianisme comme religion officielle de l'Empire, de Charlemagne ou de la Reconquista espagnole, laissera les ferments de la révolte à venir chez les non convertis.
Après des siècles, leurs héritiers éduqués des stigmates du passé se réveillent. A Srebrenica, Mladic parlera d’une «revanche contre les Turcs». A Trebinje, petite ville dans le sud de la Bosnie-Herzégovine en 1992 ; les nationalistes serbes éradiquent toute trace du long passé ottoman de la région. Etc.
Pourquoi ces phénomènes de « mémoire collective » devraient-il disparaitre ici alors qu’ailleurs le « devoir de mémoire » s’impose ?
Alors comment prévenir ces désastres ? Qu’elle est la situation aujourd’hui ?
Après l’éclatement de la Yougoslavie, en 2001 la Bosnie-Herzégovine décrète une « nation Serbe » au sein de la Fédération croato-musulmane qui devient dès lors la « Fédération de Bosnie et Herzégovine ».
L’enchevêtrement des territoires des cultures et des religions (50% musulmans, 45% orthodoxes et catholiques, 5% juifs et autres) ne pouvait pas garantir pour longtemps la stabilité de cette fédération.
Le statuquo actuel laisse émerger des signes avant-coureurs inquiétants qui se multiplient.
(**) Les églises bosniaques, croates et slovènes s’inquiètent des vieilles crispations qui demeurent. «L’Accord de paix de Dayton a mis fin au sang versé, mais il n’a généré ni justice ni équité pour l’ensemble des citoyens … il existe un conflit politique constant entre les sujets nationaux et les politiques qui rend l’État de la Bosnie-Herzégovine toujours plus instable et sans perspectives», écrivent dans un message les présidents des commissions Justice et paix de Slovénie, de Croatie et de Bosnie-Herzégovine.
Ils dénoncent «les privations des droits des citoyens et des peuples en Bosnie-Herzégovine, ainsi que l'organisation anti-démocratique, irrationnelle et dysfonctionnelle de cet état multi-ethnique né à Dayton». Ils sont, en particulier, inquiets pour «la situation dramatique du peuple croate qui reste encore à 45% privé de ses terres, et à plus de 90% dans la dite "République de Serbie"».
Ils demandent «pour tous les réfugiés et les déplacés (que) soient créés les conditions pour un retour sûr et soutenable », une réforme constitutionnelle qui irait dans le sens «du fédéralisme, d’une décentralisation, d’une subsidiarité, et de la représentation légitime des peuples constitutifs et des minorités nationales». (*)
Les serbes de leur côté qui reconnaissent sept communautés religieuses, privilégient l’Église orthodoxe et mènent la vie dure aux musulmans, en mai juste avant le ramadan, une mosquée en construction à Zemun est détruite par les autorités de la ville. En 45 ans pas un seul édifice religieux musulman n’a été construit. Le premier ministre, Aleksandar Vucic, s’est déclaré « très inquiet pour l’avenir des Balkans » si Serbes et Bosniaques se montrent incapables de vivre ensemble en Bosnie-Herzégovine.
Miljenko Jergović, écrivain croate de Bosnie, met en garde contre un nouveau conflit et invite l’Union européenne à se réengager. S’agissant des liens entre la Bosnie-Herzégovine et la Turquie « Erdogan lui-même rappelle souvent que le père d’Izetbegovic… a déclaré sur son lit de mort qu’il plaçait la Bosnie-Herzégovine sous la tutelle de la Turquie. (***)
Se rappeler l’ingérence turque à Chypre lorsqu’il s’est agi de « protéger » les musulmans et la partition de l’île qui s’en suivit, permet d’envisager la menace qui pèse sur le règlement Bosniaque.
Les exemples des tensions persistantes sont nombreux, leurs caractères ethniques et religieux manifestes mériteraient d’anticiper les événements qui couvent. Au KOSOVO voisin, les exactions communautaires révèlent les tensions. Ici une église saccagée, incendiée par des musulmans.
La partition de la Fédération de Bosnie et Herzégovine, sur une base ethnique et religieuse, est une nécessité urgente que son peuple fracturé et meurtri espère. Cette fédération multiculturelle née après les ravages de la guerre et constituée de ses belligérants, développe inexorablement ses particularismes divergents sur fond de corruption. Le temps n’efface pas les cicatrices, les déchirements ethniques rémanents font craindre l’implosion d’une Fédération sans domination communautaire. Ce multiculturalisme dont les composantes se neutralisent illustre l’échec des décisions supranationales appliquées à des communautés qui se juxtaposent sans jamais s’intégrer. Leurs cultures s’appuient sur des histoires et des religions différentes, en l’occurrence, aucune n’est capable de s’imposer. L’intégration en matière culturelle dépend de la volonté des individus ou de la force qui les contraint.
Est-ce pour éviter cela que Houelllebecq préconise une religion d’Etat, c’est-à-dire dominante ? Cette idée semble à priori inconcevable dans une Europe qui a envisagé puis abandonné l’idée de mentionner ses origines chrétiennes dans ses textes fondateurs. Suggère-t-il, sans remettre en cause l’égalité des religions d’une façon générale, que leur déploiement égalitaire dans une société est une utopie, quelles que soient les sociétés ?
Cette même Europe a vanté un temps le multiculturalisme et s’est retournée en 2010 pour en faire le constat d’échec. (https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-multiculturalisme-est-il-une-187579). Le Conseil de l’Europe a alors envisagé timidement l’interculturalisme que Gérard Bouchard (Université de Québec) précise « L'interculturalisme reconnaît le statut de la majorité culturelle… »
(https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/apres-l-echec-du-multiculturalisme-187608)
Les points de vue de Bouchard et de Houellebecq sont de la même veine.
La création d’Israël repose sur ce même principe ; laisser une communauté de croyants se développer sur un territoire sous l’égide de sa religion d’Etat à l’écart de ceux qui s’y opposent. Que deviendrait Israël si des instances internationales décidaient la création d’une fédération à composantes juives et musulmanes à égalité de droits comme en Bosnie et Herzégovine ?
Les trois communautés de Bosnie et Herzégovine ont certainement la même espérance d’une séparation maîtrisée pour éviter une nouvelle guerre civile et s’épanouir.
Si les Balkans révèlent encore cette nécessité, y aurait-il alors une condescendance européenne à considérer que ces maux ne l’atteindront pas ?
(*) https://www.la-croix.com/Monde/Europe/En-Bosnie-Herzegovine-tension-monte-avant-referendum-conteste-2016-09-22-1200790957
(**)http://fr.radiovaticana.va/news/2017/05/10/leglise_sinqui%C3%A8te_de_linstabilit%C3%A9_de_la_bosnie-herz%C3%A9govine/1311287
(***)http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/07/01/l-europe-va-t-elle-perdre-les-balkans_5154313_3232.html