3 Août 2016
Une nouvelle «société multiculturelle» porte en elle des défis que l’histoire difficile de certains pays méditerranéens notamment, doit nous inciter à considérer. Les treize derniers siècles notamment, ont montré l’incapacité permanente des sociétés quelle qu’elles soient, à permettre à des individus de religion différente de coexister durablement. Exemples...
Chypre. Le brassage des populations de l’île sans cesse envahie et occupée depuis les Perses jusqu’aux Vénitiens, a été rendu possible par l’acceptation de la culture dominante (principalement gréco-romaine et chrétienne). En 1571, date de la conquête de l’île par les Ottomans musulmans, de nouvelles communautés naissent et s’éparpillent sur l’île sans jamais se fondre avec les populations d’origine. Après quatre siècles, en 1975, les communautés se déchirent et créent deux nations distinctes. (Les cathédrales sont devenues mosquées à Chypre Nord).
Al Andalus. Qu’est devenu l’exemple de l’intelligentsia de Cordoue qui sut entretenir pendant un temps au XIIe s. sous la domination musulmane des Almohade, une apparente harmonie entre les différentes communautés croyantes et permettre un épanouissement intellectuel interreligieux avec Ibn Rushd (Averroès), Maïmonide… ? ( La mosquée est devenue cathédrale à Cordoue)
Syrie. Qu’est devenue l’entente harmonieuse vantée par les représentants des communautés chrétiennes, juives et musulmanes de Damas (émission dominicale de FR2 « ISLAM ») avant l'explosion Syrienne ? A Damas au XXe s. comme à Cordoue au XIIe s. l’entente interreligieuse ne coexistait que grâce à un pouvoir politique autocratique.
Yémen. Depuis près de deux mille ans, des juifs étaient installés au sud de la péninsule arabique. En mars 2016, 19 juifs ont été exfiltrés, finalisant l’expulsion des 50 000 juifs yéménites, commencée après la seconde guerre mondiale, par les musulmans. Des actions similaires ont eu lieu en Ethiopie et dans d’autres pays arabes.
Inde et Pakistan. Après deux siècles de domination britannique, l’empire colonial se divise en respectant sagement les communautés religieuses musulmanes (Pakistan) et hindoues principalement (Inde).
Ex-Yougoslavie. L'empire Ottoman s'étendait jusqu'à la frontière actuelle de la Bosnie convertie alors à l'Islam. L'empire Austro-Hongrois chrétien défendait son territoire qui comprenait l'actuelle Croatie. Les Yougoslaves étaient très majoritairement slaves et parlaient la même langue ce qui n'a pas suffi pas à maintenir l'unité. Les républiques se déchirèrent. L'exemple de la Bosnie est représentatif de l'origine des tensions avec des communautés chrétiennes, orthodoxes et musulmanes répartis par poches sur le territoire comme à Chypre. Les mêmes causes, principalement culturelles et religieuses, conduiront aux mêmes conséquences; les revendications nationalistes découlant de celles-ci.
En Serbie aujourd’hui, on célèbre toujours « la bataille de KOSOVO » qui opposa une coalition chrétienne aux musulmans Ottomans en …1389.
Arabie Saoudite, Emirats...
Les musulmans ne sont pas les seuls à pratiquer l'exclusion.
Israël. Celui qui a visité Jérusalem, osant pousser sa curiosité jusqu’à Méa Shéarim (quartier des juifs ultra-orthodoxes de Jérusalem), n’aura pu que constater l’isolationnisme volontaire saisissant de cette communauté. Le refus de l’autre est prégnant dès les premiers pas dans « leurs quartiers », c’est le cœur religieux d’un pays qui rejette autant que possible les autres communautés religieuses ou pas.
Espagne. Que serait devenue aujourd’hui l’Espagne si la Reconquista catholique n’avait pas brutalement imposé la religion unique ou l’exil, comme s'y étaient essayés avant les musulmans ? L’exemple d’un multiculturalisme réussi ou une partition communautaire comme à Chypre ?
Myanmar. Les Bouddhistes extrémistes ont profité de la destruction des monumentaux bouddhas de Bâmiyân par les talibans pour commencer" l'épuration". La communauté musulmane venue de Bengalie est ciblée par ce véritable pogrom. Les moines veulent chasser "ces musulmans qui se marient avec nos femmes et les contraignent à se convertir à l'islam".
Quel est le territoire de notre planète qui échappe à la règle du refus de la religion de l’autre un jour ou l’autre ? Pourquoi donc vouloir imposer des frontières politiques et des modèles de sociétés à des populations aux paradigmes différents ? De quel droit, les sociétés occidentales doivent-elles les imposer aux autres ?
Ce modèle, qui porte en lui l’acceptation de « l’autre » tel qu’il est, même si cet « autre » n’en accepte pas les codes, est probablement utopique si l'on en croit les événements historiques et actuels.
Faut-il se convaincre d'avoir raison en proclamant les principes vertueux d'un "vivre ensemble" loin d'être acceptés ici et là ? Peut-on en déduire que nous sommes condamnés à réussir ? La volonté, même éclairée, de quelques dirigeants européens n'est pas une garantie. Avoir raison seuls et trop tôt contre la capacité des peuples à vivre ensemble ne saurait être suffisant.
La mémoire des peuples traverse les siècles et la trace rémanente des origines, religieuse ou autre, ressurgit un jour où l’autre indépendamment de la volonté des pouvoirs politiques. Le Printemps des Révolutions (1848) a réveillé la conscience Tchèque endormie pendant des siècles sous la domination de l’empire d’Autriche, les juifs d’Israël ont ressuscité l’hébreu oublié depuis son origine biblique, la Russie bolchévique et les communistes de tous pays ont bien essayé d'éradiquer les religions... Qu'on le veuille ou qu'on le déplore les religions sont des piliers incontournables de la conscience des peuples. Il faut faire avec, contre semble impossible.
Si cette belle idée de "vivre ensemble" échoue et que les exemples que l'Histoire nous a montrés se perpétuent, alors il n'y aura pas de retour en arrière possible. L’Europe n’a pas droit à l’erreur en matière d’immigration et d’intégration. La Reconquista espagnole ne se reproduira plus, sauf à envisager le pire.
De nombreux pays ne veulent pas de la laïcité, et alors...
Certaines nations, principalement musulmanes mais pas seulement, ne veulent pas de cette laïcité occidentale ; Iran, Turquie, Yémen, Maroc... et considèrent, comme les philosophes musulmans, que l’autorité politique émane de Dieu, notion entretenue également un temps par les monarchies européennes d’ailleurs. Israël « état juif », avec son gouvernement de coalition et ses ministres appartenant à des partis religieux, n’aspire pas non plus à la laïcité. Au nom de quoi d’ailleurs devraient-ils adhérer à la laïcité ? Pourquoi respecter les sociétés Papous leurs coutumes et leurs institutions tribales et vouloir remodeler celles des pays de culture différente à la nôtre ?
La difficulté apparaît lorsque des individus, en provenance de pays empreints de l’idée que la religion doit guider le fonctionnement des sociétés, s’installent dans les pays démocratiques non musulmans en conservant ces principes. Ils ne sont pas tous prêts à accepter les règles laïques et pour certains ils s’y refusent. L'institut Montaigne a réalisé une enquête qui montre que 29% des musulmans en France, soit près de 2 millions, estiment que la loi islamique, la charia, est plus importante que la loi de la République.
Ils pourraient examiner les considérations d’Ibn Kahldoun (*), exemple rare dans le monde musulman du XIVe siècle, qui démontre avec intelligence le contraire. Dans son « Livre des exemples », il analyse les fonctionnements des sociétés musulmanes et de ses dirigeants dont le pouvoir viendrait de Dieu. Il évoque (Muqaddima) « …l’erreur des philosophes… » musulmans, qui pensent que le pouvoir, nécessaire pour éviter l’anarchie, est « … une qualité de rectitude divine que Dieu a déposé en lui afin qu’il obtienne la soumission et l’adhésion des hommes», en faisant remarquer que « … l’existence et la vie des hommes peuvent bien se réaliser sans la prophétie… les gens du Livre et les adeptes des prophètes sont peu nombreux en comparaisons des païens… Cela montre clairement que les philosophes sont dans l’erreur quand ils considèrent la prophétie comme nécessaire. » Voilà qui faciliterait leur intégration.
Alors quelles possibilités pour un Etat républicain qui accepte comme les autres, ces individus réfractaires à la laïcité? Imposer sans relâche son modèle laïque ou accepter qu’il finisse par changer ?
Car dans ce domaine c'est le nombre qui fait loi.
(*) Le 600e anniversaire de la mort d’Ibn Kahldoun en 2006, organisé avec le roi d’Espagne à Séville et les principaux chefs d’Etat des pays du Maghreb, a rappelé l’éminence de cet intellectuel du XIVe siècle, père de la sociologie, qui mériterait d’être plus largement diffusé auprès de certains musulmans.