Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
L'apostilleur

Ne pas rire (se moquer), ne pas déplorer, ne pas détester mais comprendre (Spinoza)

(1/3) La civilisation, l’éducation ou la morale judéo-chrétienne… De pieux poncifs infondés.

 

Psittacismes répétés, ils relèvent d’une intention apparue à la fin du XIXe siècle dans une Allemagne encore aux deux tiers protestante. Plus tôt, l’antagonisme judéo-chrétien les aurait qualifiés, de part et d’autre, d’hérésies. Culture, morale et civilisation judéo-islamique n'existent pas non plus.

Considérant que pour être judéo-chrétiennes, l’éducation et la morale auraient dû s'imprégner de la même culture, et si la culture se définit par « l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social » et englobe « outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances (Unesco) », alors on peut assurer qu’elles sont restées distinctes. Pendant deux mille ans, la nation juive est restée un scion dont la greffe n'a pas pris dans ses nations d'accueil.

L’antijudaïsme des catholiques et des musulmans pendant le moyen-âge et après a été abondamment commenté et décrié, mais les motifs qui ont nourri au fil des siècles l’ostracisme judaïque envers les chrétiens le sont moins. Quelques exemples seront abordés ici pour éclairer la contribution juive à l’impossibilité judéo-chrétienne. Leur observation suppose d’écarter le voile des événements tragiques récents du peuple juif pour examiner sans partisanisme les causes qui l’ont maintenu volontairement reclus et distant des chrétiens et des autres peuples pendant des siècles. L'antisémitisme, descendance difforme de cet antijudaïsme ancien, n’existait pas encore.

Pour en découvrir les causes, on suivra la recommandation d’Ariel Toaff, historien israélien à Jérusalem et fils d’un grand rabbin de Rome, qui recommande de «… briser le tabou des recherches autour de l’atmosphère antichrétienne au sein de certaines communautés ashkénazes européennes…». Récemment encore au Maghreb, juifs et musulmans interdisaient à leurs enfants d'entrer dans une église.

  • S’agissant de la diffusion du rapprochement sémantique « judéo-chrétien ».

Il apparaît dans une Allemagne persécutrice des juifs rhénans depuis les premiers croisés et qui n’avait pas encore commis l’holocauste. Elle avait connaissance des discours de Luther (XVe s.) longtemps proche des juifs quand il « récusait la doctrine de Justinien de Servitude des Juifs… Quel Juif pourrait consentir d'entrer dans nos rangs quand il voit la cruauté et l'hostilité que nous manifestons à leur égard… ». Une période propice à une entente judéo-chrétienne qui ne dura pas suffisamment pour qu’elle germe et dont le retournement fut brutal lorsqu’il découvrit les opinions discrètes de juifs envers les chrétiens.

Dans une correspondance, Luther nous apprend avoir découvert très tard (trois ans avant sa mort) l'antichristianisme judaïque , avec les « …imprécations, blasphèmes, mensonges et diffamations… » envers les chrétiens qui provoqua sa haine nouvelle des juifs avec les « huit recommandations de Luther ». Ce revirement marqua de son empreinte l’antijudaïsme d’outre Rhin « … qu'on les force à travailler la terre, ou bien qu'on les expulse d'Allemagne…  Nous sommes fautifs de ne pas les tuer. Au contraire, nous leur permettons de vivre librement dans notre milieu, en dépit de tous leurs meurtres, leurs imprécations, leurs blasphèmes, leurs mensonges et diffamations; nous protégeons et défendons leurs synagogues, leurs maisons, leurs vies et leurs biens. De cette façon, nous les rendons paresseux et tranquilles et nous les encourageons à nous plumer hardiment de notre argent et de nos biens, ainsi qu'à se moquer et à se railler de nous, avec comme but de nous vaincre, de nous tuer pour un tel péché et de prendre tous nos biens comme ils le prient et souhaitent tous les jours... (avec l'adjuration quotidienne du toledot yeshou) ». Découvrait-il seulement alors que le Talmud pilier du judaïsme avait été régulièrement incriminé durant le Moyen-Age ?

Récemment Pierre Sapy s’intéressait lui aussi au réformateur et à son livre « Les Juifs et leurs mensonges (1543) », dont il est l’instigateur de la première traduction allemand/français, après près de 500 ans. Questionné (Médiapart) sur l’origine de la métamorphose de Luther, il ne répondra pas avec les propos du moine. Il reprendra, hésitant, la «thèse classique des historiens (lesquels ?) …Luther aurait été déçu de n’avoir pas réussi à convertir les juifs…». Il dira aussi ses difficultés pour trouver un traducteur et un éditeur pour ce texte moins connu pour les deux cents pages qui étayent une exégèse révoltée contre le Talmud pour ses propos contre les chrétiens, que pour ses passages exécrables qu’auraient lus des nazis qui en réalité avaient fait peu de cas du réformateur.

L’Eglise luthérienne attendra le 60e anniversaire de la nuit de Cristal en 1998 pour reconsidérer avec un effort de repentance mesuré, limité à l’antisémitisme, les propos du réformateur.

La Fédération protestante de France publiera en décembre 2017, une  « déclaration fraternelle du protestantisme au judaïsme » qui ne prendra ses distances qu’avec la « violence insoutenable de certains écrits de Martin Luther... ». Le Grand Rabbin de France Haïm Korsia soulignera « la nouvelle composante judéo-chrétienne de ce dialogue (qui) a malheureusement longtemps manqué ». Des siècles de cohabitation sans dialogue avec les protestants peu propices à la fermentation d'un judéo-christianisme.

 

Sortant de la deuxième guerre mondiale, une attention particulière sera apportée par nombre d’intellectuels éclairés de l’holocauste à une nouvelle entente avec les survivants juifs. De l’utilisation du suffixe « isme » accolé à l’adjectif « judéo-chrétien » naissait une intention philosophique compassionnelle des seconds. Des réconciliateurs allemands, innocents, descendants des auteurs de la tragédie, manifesteront une volonté allemande de rapprochement avec les juifs.

Dans le sillage de cette réconciliation, Javier Teixidor (Collège de France) estimera que « si les chrétiens parlent de judéo-christianisme, c’est pour soulager leur conscience vis-à-vis des crimes commis en Europe ».  

Mais la diffusion du néologisme, si respectable fût-elle quant à l’intention, n’en était pas pour autant fondée, et traîne encore obstinément ici et là au détour de commentaires qui l'utilisent avec des intentions diverses. Pour Nadine Morano c’est l’outil de circonstance pour justifier un anti-islamisme récent dans une France «… aux racines judéo-chrétiennes… un pays judéo-chrétien…». Emmanuel Walls affirmait lui au CRIF sa perception judéo-chrétienne de la France ; "… Sans les Juifs de France, la France ne serait pas la France" et préparait le lit des allégations de BH Lévy chercheur de traces de l'influence judaïque. Maniant le paradoxe, dans « L’esprit du judaïsme » ce défenseur fervent du judaïsme, vilipende Napoléon (**) pourtant libérateur des juifs du Ghetto à Venise en 1797, au motif qu’il n’avait pas décelé que « …la loi juive a pour une large part rendu possible et même engendré… » la République. Dans le même temps il honnit « Robespierre, Saint-Just et les autres… (qui) avaient fait table rase… et refoulé cette source hébraïque » ? Les mesures voulues par Napoléon qui s’appuient sur un état déplorable des relations des juifs ashkénazes avec leur entourage, contredisent les affirmations de BHL.

Trompé par Mirabeau qui affirme que « La religion est sans contredit le premier et le plus utile frein de l'humanité : c'est le premier ressort de la civilisation »,  BHL lyrique, évoquera une « …civilisation juive » plutôt qu’une nation juive. Il ne songera pas non plus à une civilisation judéo-chrétienne. 

A contrario, Paul Valéry estimera lui que ; « l’influence du judaïsme dans la formation du christianisme est à peine égale à l’influence des égyptiens et des perses » ?   

 

  • Des circonstances ont pourtant donné sens à une singularité judéo-chrétienne.

Leurs raretés révèlent surtout des dissensions trop profondes pour judéo-christianiser un modèle, dans un environnement de grande détestation millénaire.

La première suppose un bond en arrière de deux mille ans dont quelques témoignages confortent le climat décrit par Kattel Berthelot (CNRS); "...dès le IIe s. av JC, les juifs sont "le seul groupe humain dans tous le bassin méditerranéen désigné comme misanthrope... hostile aux non-juifs, qui se replit sur lui-même… en opposition avec l'universalisme de la philosophie stoïcienne qui se développe alors..."

L'apôtre Paul témoigne de tensions judéo-chrétiennes graves et dit à propos des juifs, "...eux qui nous ont persécutés...ils sont ennemis de tous les hommes..." (Epître aux thessaloniciens, plus vieux texte du nouveau testament daté des années 48/50). Il se souvenait certainement avoir lu sur la façade du temple d'Hérode aux portes d'or dites de Nikaor, une inscription en hébreux, grec et latin qui prévenait que " tout non-juif qui franchirait ces portes serait tué sans jugement ".

A Jérusalem dans le Temple, « …les prêtres s'installent à plein temps et certains recommencent à faire de la fortune une finalité (Les juifs, le monde et l’argent -Attali). Ces « sages » (tanaïm) percepteurs d’impôts omnipotents, laissaient proliférer les idoles et les marchands jusqu’à ce qu’ils soient dérangés par un certain Jésus et des juifs hérétiques affligés par ces dérives. Les prêtres lanceront alors leur diatribe sévère ; « …qu’ils périssent s’ils ne reviennent pas à Ta Torah ».  

Auraient-ils vu alors d’un mauvais œil leurs prérogatives bousculées comme celles des prêtres du temple d’Amon à Karnak en Egypte quatorze siècles avant eux ? Chacun a pu mesurer, avec les ravages commis sur les effigies et les cartouches d’Akhenaton, la rage de ces prêtres amputés un temps de leurs privilèges par ce précurseur monothéiste… Inspirateur du judaïsme?

Des Eglises (communautés) composées de juifs dissidents chassés des synagogues par les Pharisiens (juifs orthodoxes), et de Gentils ou Goyim (non juifs) qui reconnaissaient Jésus comme le Messie, naissent alors. Ce sont les Eglises primitives de la période paléochrétienne jusqu’au IVe s. qui marque le schisme judéo-chrétien.  

Lawrence H. Schiffman rapporte dans son livre « La réponse de la halakha (loi juive) à l'ascension du christianisme » (2003), l’expression d’un antichristianisme marqué des rabbins des premiers siècles; « …Dans vos synagogues qui, de jour comme de nuit, blasphèment le Sauveur, on énonce des malédictions contre les chrétiens trois fois par jour… ». Dan Jaffé en témoigne également.  

Spectacle toujours vivant en Inde, où les grandioses temples hindous du Tamil Nadu (notamment) abritent des communautés de prêtres entourés d’or, signes extérieurs de leurs privilèges. Ils siègent au milieu des temples bondés de marchands et d’idoles, dirigeant à coup de gongs les offices et les fidèles généreux, leurs obligés.

Ces rapprochements laissent deviner le sentiment des prêtres juifs du temple au début de l’ère chrétienne, dérangés et soucieux de dénigrer cette secte concurrente composée de renégats issus de leurs rangs qui minaient leur autorité. L’antichristianisme précédant l’antijudaïsme, germait dès ici. Leurs commentaires sécessionnistes des débuts ont imprégné des générations de talmudistes (voir plus loin le traité Avoda Zara).

 

La seconde singularité judéo-chrétienne, récente, concerne les juifs messianiques actifs en Israël et aux Etats-Unis qui reconnaissent en Jésus le Messie, comme la majorité des chrétiens. Ils ressuscitent les synagogues judéo-chrétiennes et ne sont pas assimilés aux judaïstes. Gerónimo de Santa Fe (rabbin converti), s’y essaya avant eux lors de la disputation de Tortosa en 1414. Il voulait prouver avec des sources juives que le Messie était déjà venu en la personne de Jésus.

De ces minces rapprochements dogmatiques trop anciens ou trop récents, n’ont pas surgi les fruits d’un amalgame judéo-chrétien, pas plus que des diasporas juives essaimées (ou converties *) vers des terreaux culturels différents pour des causes multiples ; captifs (Rome), déportés (Nabuchodonosor), immigrés (Damas), enrôlés, mercenaires (Onias IV), esclaves (Pompée)… 

Altérant le rigoriste judaïsme des orthodoxes, le mouvement juif Massorti (XIXe siècle) qui « s’oppose à l’assimilation car il veut préserver, dans les conditions de la diaspora, le patrimoine humain et culturel d’Israël », encourage d'un grand écart doctrinaire « les rapports de convivialité et de solidarité avec les Non-Juifs», rompant avec les enseignements archaïques et sectateurs du Talmud (torah orale) comme certaines « … règles (d’Avoda Zara) qui gèrent les relations aux non-juifs idolâtres… et la nécessité de s’en éloigner »

 

  • Contraints par leurs textes, les juifs s’interdisaient un rapprochement avec les autres peuples

Peu connus, quelques traits de la vie des juifs imposés par le Talmud illustrent le fossé culturel entre ces communautés arc-boutées derrière leurs convictions et leurs rituels. Des exemples de l’impossible symbiose avec les chrétiens fourmillent dans l’histoire du judaïsme. Comme la méfiance nécessaire vis-à-vis des femmes non juives lors des naissances, ou encore une appréciation partisane de la justice ; « Le juif n'a pas le droit de voler un goy, mais si il lui doit de l'argent il a le droit de ne pas le rembourser»… 613 commandements (mitzvot) guident la vie religieuse et sociale, dont nombre d’interdits ; il ne faut « …pas contracter de mariage avec des non-Juifs » qualifiés de « gentils » (goyim), « ils appartiennent à un autre peuple ». Cette règle vaut encore aujourd’hui en Israël où seul le mariage religieux entre juifs est possible.

Ajouté à cet isolement voulu, des formes multiples de l’antichristianisme s’exprimaient dans le Talmud de Babylone (moins virulent contre le christianisme et donc moins censuré que la version de Jérusalem); carcan social et religieux avec ses mœurs distantes de celles des nations d’accueil.

L’abbé Joseph Lémann (juif converti) parlera de « La haie des lois talmudiques ».

Dan Jaffé maître de conférences en histoire des religions à Tel-Aviv, chercheur au CNRS, expose quelques aperçus qui n’ont pas manqué de heurter déjà au Moyen-Age ; «…Jésus a pratiqué la sorcellerie, a séduit et a fourvoyé Israël… né de relations coupables… ta naissance à Bethléem a provoqué un massacre d'enfants… Jésus est un bâtard… ». Ces propos populaires diffamants sur la naissance de Jésus (Ve /VIIIe s ?) s’exprimeront dans un document, le Toldot Jéshou diffusé jusqu’au XXe s. Autant d’opprobres peu propices à l’émergence d’une proximité judéo-chrétienne.

Rédigés dans un hébreu confidentiel longtemps, le Talmud aura été épuré de ses provocations à Bâle (XVIe s.) mais seront restées « …dans les anciens manuscrits, notamment dans ceux de Munich, de Florence et de Karlsruhe.»  (« Jésus dans le Talmud » - Dan Jaffé).

 

Il aura fallu attendre 1827 pour que les Talmud (Babylone et Jérusalem) soient traduits en français grâce aux subsides du tsar Nicolas Ier, par un italien l’abbé Chiarini qui dès lors s’emploiera à rechercher dans sa Théorie du judaïsme «… la cause fondamentale pour laquelle tous les peuples non-juifs se sont si bien accordés… pour exercer sur toute la surface du globe les mêmes cruautés ? » En 2016 à Paris, un symposium contre l’antisémitisme dira de ces travaux qu’il est «… légitime d’y voir une dénonciation typiquement catholique du Talmud ». Une résurgence d’un antichristianisme ancien, éloignée d’un judéo-christianisme possible. 

L’Université Catholique de Paris éditera en 1868 un Recueil religieux philosophique scientifique et littéraire comprenant une notice sur le Talmud original. Il y est fait mention des intentions du Rabb Asschi (Ve s.) de corriger le Talmud de ses « …extravagances bien ridicules, d’indécences très révoltantes, surtout de blasphèmes contre tout ce que la religion chrétienne a de plus sacré de plus cher ». Tzvi Hirsch Graëtz reconnaît dans son « Histoire des juifs » les inepties talmudiques inhérentes « … à toute œuvre de l’esprit qui a une tendance exclusive …avec des croyances et des pratiques superstitieuses … en contradiction absolue avec l’esprit du judaïsme ; il contient aussi des maximes et des sentences hostiles aux autres peuples et aux autres religions ; enfin, son interprétation de la Loi est souvent très subtile, étrange, contraire au bon sens et à la réalité… ».

Plus généralement, lucide, l’Israël ministry of foreign affairs, évoquera les «… tranchants que juifs et catholiques entretinrent les uns sur les autres, pendant plus de deux millénaires…». Comme Yosef Gedaliah Klauzner qui parle dans son « Dictionnaire des monothéismes », de l’antijudaïsme et de l’antichristianisme juif concomitant « …Jusqu’à l’époque contemporaine, les relations entre juifs et chrétiens furent limitées et marquées par la haine, la méfiance ou l’indifférence ».  Il rappelle aussi au passage les Toldot Yéshou, ces opuscules qui salissaient la naissance de Jésus dès le Ve siècle.

 

  • Perpétuel conflit judéo-chrétien et pilier séculaire de l’antijudaïsme ; l’usure.

« Compteurs d’argent » de van Reymerswaele peintre néerlandais XVIe s.

Au Moyen-Age, l’insolente richesse de quelques juifs contrastant avec la misère des autres (juifs compris), offusque. Parmi « les servis » relégués en bas de l’échelle sociale certains s’enrichissent avec le droit d’usure refusé aux catholiques par les conciles successifs de Latran mais admis pour les juifs qui suivront les recommandations des rabbins plutôt que la Torah «… le message du judaïsme reste fidèle à… la Torah l’a interdit et continue à l’interdire (l’usure)  ... ».

Produit par des générations de rabbins d’abord jusqu’au VIe siècle ap JC, le Talmud contient d’inévitables divergences d’opinions.  Molé  « issu de sang israélite » (converti), parlera aux assemblées de notables juifs convoquées par Napoléon, de ces « lois qui ont été imposées aux individus de votre religion… qui ont varié par toute la terre. L'intérêt du moment les a souvent dictées… » et ont conduit à une dialectique particulière, le pilpoul, pour tenter de réconcilier des propos rabbiniques contradictoires.

Conscients des conséquences, des rabbins devront intervenir pour limiter le taux de l’usure, quand Maïmonide (éminent rabbin sépharade du XIIe s.) parlera lui "…d'un devoir de pressure du Gentil (non juif) en lui prêtant à intérêt et il est interdit de prêter à intérêt à son frère".

Une situation insupportable pour les notables chrétiens endettés, dont certainement le roi Edouard III qui dut gager la couronne d’Angleterre pour un prêt auprès d’un banquier juif rhénan.

La pratique de l’usure par les juifs durant le Moyen-Age sera une des causes de leurs nombreuses évictions en Europe, malgré qu’ils aient été appréciés par la noblesse dirigeante et quelques rois à qui ils versaient des droits pour leur exercice. On se disputait « la possession » des juifs pour ces motifs.

Mais les temps changent vers la fin du XVe s. à Florence quand les banquiers juifs d’abord appréciés des Médicis seront finalement chahutés (***) avec l’arrivée des monts-de-piété soutenus par le bouillant moine prédicateur Savonarole. Il voyait là le moyen de se débarrasser de l’usure des juifs « cause de l’appauvrissement du peuple florentin ». Les monts-de-piété viendront à bout des banquiers juifs qui devront porter la rouelle jaune avant d’être finalement chassés. Un mont-de-piété Toscan donnera naissance à la plus vielle banque du monde encore aujourd’hui, la Monte dei Paschi di Siena.

 

  • S’agissant des lois. 

Rapportée de l’exil babylonien (code d’Hammurabi), l’ancienne loi du Talion (Œil pour œil dent pour dent…) est mentionnée dans la Torah, le Talmud (et le Coran), elle illustre une approche fondamentalement différente de celle des chrétiens qui trouvent la miséricorde et le pardon au cœur des Evangiles ; « Pardonnez afin qu’on vous pardonne ». D’inspiration chrétienne, dans nos tribunaux aujourd'hui la connotation morale de la confession et de la repentance, condition du pardon, peuvent conduire à une indulgence.

Avec la loi du Talion et les conceptions différentes de repentance du Talmud (voir l’explication du rabbin Ph. Haddad pour téchouva et vidouy), on peut comprendre que les juifs revendiquaient leur propre tribunal malgré ce que le même Talmud conseille ; avec « dina demalkhouta dina  - la loi du royaume (où ils vivent) est la loi (des juifs) ».

Si des musulmans portent ouvertement la charia au-dessus des autres lois, après les amendements rabbiniques dans le Talmud, ce principe devient « la loi du roi n'est la loi que dans le domaine laissé par la loi juive à la libre décision de la population. » Comme on le verra avec Napoléon (**) qui imposera finalement aux juifs les lois de la République au détriment de certaines mosaïques.

Au Moyen-Age la nation juive suit autant que possible ses propres règles et lois à l’intérieur des nations où elle est implantée. Les rabbins demandent aux juifs de ne pas faire appel aux « …juges idolâtres (catholiques) … même si leurs lois sont similaires… C’est comme si ils levaient la main sur la Torah de Moché…lorsque nos ennemis sont juges sur nous… ». L’analyse de certains jugements montrera pourtant qu’il pouvait ne pas y avoir de discrimination lors des procès entre chrétiens et juifs conduits par une juridiction chrétienne.

Ressuscitant cette vieille attente juive d’émancipation des lois de la nation d'accueil, quelques-uns en France (2005) ont voulu réintroduire un tribunal rabbinique pour juger leurs conflits. Il aurait été présidé par "une sommité israélienne", le rabbin Mordehaï Gross qui ne parlait pas français. Le tribunal serait intervenu dans les conflits d'ordre économique "…entre juifs nous devons apprendre à régler les problèmes entre nous… J'aimerais que lorsque deux juifs ont un conflit ils prennent l'habitude d'aller au Beth Din (tribunal juif)". Les textes de célèbres rabbins anciens expliquent cette distanciation nécessaire au quotidien.

 

  • S’agissant de la prééminence du peuple juif.

Dominés par le déicide juif impardonnable jusqu’en 1965 (Nostra Aetate), les irritants se révèlent aussi par des espérances juives qui ont pu insupporter certains de leurs hôtes en des temps plus rigides; «…à l'arrivée du messie tout le monde sera esclave des israélites ». Elles font écho à la Torah (Noé) avec le destin dû à «…la race divine », perpétrée par la lignée matrilinéaire qui marque d’une judaïté indélébile avec la circoncision, les enfants d’une mère juive. (Ce concept de race ayant eu depuis une résonance à oublier.)

David Banon (2004) dans « Guerre imposée et guerre autorisée selon Maïmonide » rappelle les intentions dominatrices du judaïsme « …lorsque tu t’approcheras d’une cité pour lui faire la guerre… Si elle accepte la proposition de paix et les sept lois noahides, alors on ne tuera aucune âme et les habitants de cette ville seront imposables et te serviront ». Les persécutions des chrétiens en 523 par le roi juif Yūsuf (Joseph) As̓ar Yath̓ar à Najrân (Yemen) avec « le martyre de saint Aréthas et de ses compagnons », témoignent des conséquences de leur opposition aux juifs souverains.

Einstein ignorait probablement cette période quand il a écrit à propos du peuple juif, " ... (il) n'a pas pour autant une forme de dignité différente des autres peuples. Au vu de mon expérience, ils ne sont pas meilleurs que les autres groupes humains, même s'ils sont protégés des pires excès par leur manque de pouvoir...

Se faisant, le judaïsme s’est aussi enfermé sur lui-même dans les juiveries comme en témoigne aujourd’hui Méa Shéarim, quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem où quelques juifs perpétuent un mode de vie hors du temps. Traversez ce quartier hors des murailles, et vous ferez un pas dans ce passé prégnant d’où les autres sont exclus.

Un ethnocentrisme qui tranche avec avec la vie des israélites polythéistes anciens ui se mariaient avec les non-juifs à Eléphantine autour du Ve s. avant JC.  

(*) Du prosélytisme judaïque (parfois contesté).

- « Revue de l’histoire des religions » (Duchaud, Dhorme et Puech) « …l’existence de la religion Karaïte (courant du judaïsme) chez les Coumans, successeurs des Khazars … ». Ils citent d’autres études avec « …les karaïtes descendants des Khazars » convertis vers 740.

- Dans son livre « KUZARI », Juda Hallévi (rabbin à Tolède au XIe s.) témoigne; « …je me suis rappelé ce que j’ai entendu des arguments développés par le Rabbin qui se trouvait auprès du roi des Khazars qui s’est converti à la religion juive, il y a environ quatre cents ans aujourd’hui. L’événement, relaté dans les livres d’histoire, est bien attesté. »

- Paolo La Spisa dans « Les versions arabes du Martyre de Saint Aréthas », à propos des guerres judéo-chrétiennes sudarabiques (VIe s.) « une politique de prosélytisme du judaïsme bien au-delà de ses zones d'expansion traditionnellement connues ».

 (**) Napoléon et sa création des consistoires juifs en France, illustre le fossé culturel entre juifs et chrétiens. La suite de ce texte (3/3) raconte leur intégration à pas forcés.

(***) « LES JUIFS FLORENTINS DANS L’ESPACE POLITIQUE REPUBLICAIN (1494-1496) » Jean-Marc Rivière Centre Aixois d’Etudes Romanes

(****) Lettre d'Albert Einstein à Eric Gutkind, 1954

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article